Rougira bien qui rougira le premier [Sora ♥]

Si je ne le sais pas,
Je le vois dans tes yeux.

« C’est la plus belle des journées ! Belle des journées. »
« Ta gueule. »

Les premiers mots d’Hallelujah, traduisant son humeur noire à cause de son réveil. Mais cette voix n’avait pas à la faire chier si tôt le matin. Vous auriez aimé, vous, entendre la voix aiguë d’une éponge carrée stupide vivant au fond de la mer ? Je ne crois pas. Non, Halley ne fait pas partie de la bande d’adolescents boutonneux s’extasiant devant ce dessin animé. Bon, d’accord, elle s’extasiait parfois devant des dessins animés. Mais certainement pas devant Bob l’Eponge Carrée. Déjà parce qu’elle trouvait ça totalement débile et ensuite parce qu’elle voyait toujours les mêmes épisodes en boucle et que ça l’ennuyait plus que tout au monde. Et puis, la voix de l’éponge l’énervait tout particulièrement. C’était ridicule. Maintenant, la question que vous vous posez doit certainement être ‘Mais pourquoi a-t-elle mis cette chanson sur son portable si elle ne l’aime pas ?’. Bonne question, même elle, elle ne le sait pas.

Halley avait expédié les corvées matinales en une petite demi-heure. Lavée, habillée et maquillée. Evidemment, le maquillage s’était résumé à un coup rapide de mascara de chaque côté. De toute façon, elle n’avait pas vraiment de toutes ces couleurs d’apaches pour se sentir jolie. Avec ses gênes angéliques, elle était belle naturellement. Bref. Elle n’avait pas pris la peine de se coiffer correctement, elle avait juste remis quelques mèches en place en glissant ses doigts sur sa chevelure verdâtre. Et puis, basta. Elle avait empoigné son sac de cours et s’en était allée se mêler à la foule en bas. L’Ange avait fait des pieds et des mains pour aller manger. C’était fou comment les gens pouvaient se battre pour de la nourriture ! Mais bizarrement, elle aimait bien ça. Ce spectacle l’amusait. Et elle avait choppé une pomme verte avant de rejoindre sa salle de cours. En avance, bien évidemment.

Elle faisait la même chose tous les matins. Se laver, s’habiller, se maquiller, se battre, chopper une pomme et aller en cours. Elle n’arrivait jamais la première dans la salle. Quelques intellos l’avaient déjà devancé. Elle s’orna de son plus beau sourire et entra dans la classe.

« Salut ! »

C’était peut-être des Otakus respectant les règles à la lettre et sachant répondre à n’importe quelles questions, mais elle les aimait bien quand même. Parce qu’ils étaient gentils, très gentils. Elle ébouriffa les cheveux, pourtant bien peignés, du premier intello qui eut la chance de se trouver sur son passage. C’était… Une sorte de rituel. C’était sa manière de leur dire qu’elle les aimait bien. Elle s’assit à sa place et attendit bravement, essayant de faire parler l’intello le plus proche d’elle. Il répond par monosyllabe. Un oui par-ci, un non par-là.

Un toussotement la ramena de sa rêverie. Sora, assis sur le bureau du professeur, une guitare sur les genoux et une chemise… Une chemise… Oh lutin ! Halley cligna des yeux. Aurait-il trouvé une nouvelle copine ? Il était bien du genre…

Sora se réveilla de merveilleuse humeur, ce matin là. Il ouvrit les yeux avec son réveil et s’il l’éteignit avec un grognement, le plaisir anticipé de la journée à venir lui fit vite retrouver le sourire. Le blond se leva et s’étira de tout son long dans l’air frais de sa chambre au petit matin. Il repensa à la date et à son plan et ne pu s’empêcher de sourire de plus belle. Mais quel beau jour !

Ces derniers temps n’avaient pas été de tout repos pour le pauvre chevalier. Entre sa découverte que l’existence des Anges, sa longue discussion avec Akane et le fait que Aki soit en réalité une lycan, il avait été particulièrement éprouvé. Mais aujourd’hui était un jour spécial. Aujourd’hui, il oubliait tout ses problèmes pour se concentrer sur une seule et unique chose : l’exécution de son plan. Aujourd’hui, Hallelujah allait sourire de tous les pores de sa peau et Sora gagnerait un nouveau point. Fier et impatient à la fois, le jeune homme se dirigea d’un pas rapide vers la salle de bain où il se lava rapidement avant de revenir se planter, en serviette, devant son armoire. Il allait devoir la jouer finement s’il voulait que son impact soit maximal, ça demandait quelques préparations. Une chemise, voilà ce qu’il lui fallait. Sora n’était pas particulièrement narcissique, mais il était bien conscient de l’apparence attrayante qui était la sienne. Et il comptait bien s’en servir. Un simple pantalon de velours beige compléta sa tenue et il retourna les enfiler dans la pièce d’eau. Décidément, il n’avait jamais mis autant de temps à se préparer de toute sa vie. Habituellement, une douche, des fringues et il était parti. Ce matin là, il se brossa les dents avec soin et fit bien attention à ne pas avoir la marque de l’oreiller imprimé sur la joue. Si ce détail plaisait à certaines, il lui enlèverait beaucoup de sa crédibilité. Alors il se fit un dernier sourire à lui-même, un sourire de gosse qui prépare une mauvaise plaisanterie, et il sortit de sa chambre empoignant au passage son sac de classe presque vide et sa guitare sèche qu’il jeta sur son épaule. Que le plan commence ~

Bien sûr, il attirait les regards. Pour changer. Peut être que, cette fois-ci, sa chemise entr’ouverte et l’instrument de bois y comptaient pour quelque chose. On avait l’habitude de voir Sora se balader, débraillé, les cheveux fous et l’œil noir dans les couloirs. Mais avec cet air heureux et ce sourire aux lèvres, c’était rare. Sûrement qu’il était encore tombé amoureux. Quelle genre de déclaration allait-il bien pouvoir faire cette fois ?
Mais Sora n’était pas amoureux, ou du moins ne le pensait-il pas et il ne préparait aucune déclaration exubérante et romantique comme il en avait l’habitude. Non, cette fois, le pari était bien plus grand. Sur le chemin il fit un détour par les toilettes des hommes où il se mouilla les mains avant de les passer dans sa tignasse et de s’humecter les yeux. Dans le miroir, un garçon à l’air rebelle et aux yeux brillants lui jeta un regard circonspect. Oui, ça irait très bien comme ça. Maintenant, il ne lui restait plus qu’à jouer sur ses talents de charmeur et de musicien. Il ne s’en faisait pas trop pour la guitare, il avait répété ce morceau sans arrêts depuis près de deux semaines, rendant Dayen fou à force de musique douce. Non, ce qu’il craignait le plus, c’était la réaction de Halley. Si jamais elle était insensible à son charme ? Enfin, il verrait bien.

La salle de classe était déserte, ou presque, quand il arriva. Crap, mauvais timing. Sora voulait un maximum de spectateurs pour sa prestation, histoire de rendre la tension bien plus palpable. D’un autre côté, il ne faudrait pas non plus que le professeur débarque avant la fin, il mettrait aussitôt fin au show et briserait l’ambiance et ses chances de victoire. Finement, il fallait qu’il soit parfait.
Le blond se dirigea sans mot dire vers le bureau professoral sur lequel il s’assit confortablement, laissant choir son sac au sol au passage. Il fit passer la guitare devant lui et vérifia calmement qu’elle était bien accordée. L’un des premiers de la classe l’avait vu et le fixait d’un air interrogateur. Mais Sora s’en fichait ; Hallelujah n’avait toujours rien remarqué, trop occupée à tenter d’arracher plus de deux syllabes à son voisin de classe. Bien. Quelques nouveaux élèves arrivèrent et lui jetèrent ce même regard surpris que l’Otaku. Par la porte laissée ouverte, des curieux commençaient déjà à s’entasser. La musique en attirerait sans doute plus, il était temps de commencer.
Le bruit qu’il fit en se chauffant la voix fit se retourner la jeune fille aux cheveux verts. Sans la regarder, il fit courir ses doigts dorés sur les cordes, produisant un son cristallin qui s’éleva dans la salle, la plongeant dans le silence.

« Je voudrais dédier cette chanson, commença-t-il, à une personne spéciale à mes yeux. Une personne qui m’est très chère et qui, je pense, se reconnaitra. »

Il balaya l’assistance du regard avant de le baisser sur le manche de sa guitare où il commença à engrainer les accords. Si, mi, si, ré, si. Lent, très lent. Sora joua l’introduction sans lâcher ses mains du regard. Elle était longue, douce, presque infinie. Sûrement qu’aucun de ses camarades de classe ne la connaissait ; c’était une chanson anglaise, occidentale. Un classique du genre mais seulement de la jolie musique sur l’île nippone. Mais il était sûr que elle, au moins, la reconnaitrait. Elle portait son nom après tout.

« Well I heard there was a secret chord
That David played, and it pleased the Lord
But you don't really care for music, do ya ?

Sora planta ses yeux dans ceux de Halley. Il ne les détournerait plus. C’était sa chanson, elle était pour elle et tout le monde devait le savoir. Il le fallait. Pour l’intensité du moment et pour la réussite de son plan, il le fallait. Il plissa légèrement les paupières, faisant miroiter l’eau qui s’y trouvait, et lui adressa son regard le plus tendre et le plus sincère. Un regard qui ferait rougir même le plus macho des hommes.

Well it goes like this
The fourth, the fifth
The minor fall and the major lift
The baffled king composing Hallelujah

Toutes les têtes se tournèrent aussitôt vers la jeune fille. Si certains n’avaient pas encore compris à qui était adressé cette chanson, ils n’avaient désormais plus aucun doute sur la question. Sora n’était pas vraiment un excellent chanteur, mais il avait une voix un peu grave et savait la moduler pour lui donner des intonations plus touchantes. De plus, et à son plus grand avantage, il possédait un accent anglais parfait dû à ses origines. Bon, certes, un accent australien, mais vous croyez réellement que les japonais savent faire la différence ? Alors qu’il répétait son prénom comme un psaume, une goutte glissa de ses cheveux blonds et vint rouler sur ses lèvres. Dieu devait être avec lui sur ce coup là. Il continua de chanter.

Baby I've been here before
I've seen this room and I've walked this floor
I used to live alone before I knew ya
I've seen your flag on the marble arch
Love is not a victory march
It's a cold and it's a broken Hallelujah

Réellement, Sora adorait cette chanson. Un jour, il la chanterait à la fille qu’il aimait. Là, ça ne comptait pas, c’était juste pour vaincre. Mais un jour, avec toute la sincérité du monde, il irait la voir et lui soufflerait ces mots. Pas pour qu’elle l’aime en retour, mais pour qu’elle comprenne ses sentiments à lui. Enfin, si jamais elle comprenait l’anglais. En cet instant précis, il n’avait jamais été aussi heureux que les nippons soient mauvais en anglais. Les paroles devenaient un peu trop explicites pour des gens aussi coincés qu’eux, pensa-t-il en prononçant « And every breath we drew was hallelujah ».

Tout ce temps, il n’avait pas quitté Hallelujah des yeux. Il chanta le dernier couplet avec tout ce qu’il lui restait de souffle, oubliant les spectateurs et les badauds agglutinés tout autour. Cette chanson n’était pas pour eux mais pour elle, et il n’avait strictement rien à faire de ce qu’ils pouvaient bien en penser.

Hallelujah, hallelujah, hallelujah, hallelujah... »

La dernière note resta longtemps suspendue en l’air. Personne n’osait bouger, parler voire même respirer. Sora resta quelques secondes encore le regard rivé dans ses grands yeux verts puis il se leva sans rien dire et calla sa guitare dans son dos sans autre forme de procès.

« 5 à 3, lâcha-t-il simplement. »

Spoiler:

The minor fall and the major lift
The blaffed king composing Hallelujah

Si au début elle n’avait pas fait attention à la tenue de Sora, elle la voyait plus ou moins clairement maintenant. Oh lutin… C’est qu’il avait sorti le grand jeu, le bougre ! Il avait même mis une chemise. Il devait vraiment aimer sa nouvelle petite amie pour ça. Halley attrapa son sac et plongea son bras dedans. Elle ne voyait rien de là où elle était. Enfin, elle trouva ses lunettes et les posa sur son nez. Oui, Hallelujah a des lunettes. Des rouges, parce que c’est fun. Passons. Elle reporta ses yeux sur Sora, assis sur le bureau du professeur, alors qu’il entamait une phrase dans laquelle il disait qu’il dédiait la chanson, blablabla, personne très chère, blablabla, se reconnaîtra. D’accord.
Sora avait bel et bien une nouvelle compagne.

Il commença à jouer, provoquant un sursaut dans le cœur d’Hallelujah. Elle connaissait cette chanson. Elle la connaissait presque par cœur. Elle l’écoutait quand elle allait dormir, quand elle était triste, quand elle faisait ses devoirs et quand elle s’habillait le matin. Cette chanson la suivait partout, où qu’elle aille. En même temps, si elle n’avait jamais écouté cette chanson, si elle n’avait jamais entendu parler de cette chanson, elle n’avait plus qu’à aller se pendre. Elle portait son nom, après tout. Et elle n’avait pas fait exprès, en plus. C’est juste que sa mère était littéralement amoureuse de cette chanson. Et qu’Hallelujah correspondait parfaitement à un Ange. Elle jeta un regard circulaire à la salle de classe. Personne ne savait ce qu’il se passait. Non. Rectification : personne ne savait ce qu’il allait se passer. Aucun d’entre eux ne connaissait l’existence de ce jeu terriblement… Terrible auquel ils jouaient. Le but était de se faire rougir. Et puis, ça recommençait. Comme un cercle vicieux.

La voix de Sora s’éleva au-dessus des chuchotements des élèves, installant un silence de mort. Douce, chaude et grave. Comme une voix de presque-homme. Halley continua de chercher quelque chose dans la classe, un coin où se raccrocher. Mais elle n’arriva pas à échapper aux yeux de Sora. Et d’ailleurs, il ne bougea pas les yeux pour regarder ses doigts, ni pour regarder les autres élèves, pourtant suspendus à ses lèvres. Il ne regarda pas non plus les gens dans les couloirs. Il ne regardait qu’elle. Rien qu’elle. Ses yeux brillaient super fort, n’empêche.

The blaffed king composing Hallelujah

Les têtes se retournèrent aussitôt vers elle. Hallelujah. C’était bien le seul mot qu’ils devaient avoir compris dans la chanson jusqu’à présent. Elle ne les regarda pas. Hallelujah ignora parfaitement les regards envieux des garçons – c’est beau l’espoir – ainsi que les regards haineux de la plupart des filles. Il n’empêche que le regard de Sora était gênant. Tellement gênant qu’elle sentit ses joues picoter. Elle perçut la goutte. Cette petite goutte d’eau arrogante et indisciplinée. Cette foutue goutte qui échappa à l’emprise de ses cheveux pour glisser sur ses lèvres. Elle faillit envier cette goutte. Faillit. Halley tenta de garder son calme mais elle n’y arriva pas. Cette chanson lui rappelait énormément de souvenirs. Bon d’accord, pas tant que ça ; mais quand même ! Ses mains étaient moites et elle n’arrivait pas à faire taire le tapotement nerveux de ses doigts contre son bureau. De plus, ses joues commençaient à chauffer. Et cela la dérangeait fortement. Non seulement parce qu’elle n’était pas du genre à rougir en public mais aussi parce qu’elle venait de céder un point à Sora. Zut ! Elle allait devoir trouver une idée. Parce que faire rougir Sora était la chose la plus difficile du monde. Après les mathématiques, évidemment.

Halley pinça ses lèvres, les faisant blanchir sous l’effet de la pression. Il en arrivait au dernier couplet et il sembla à Hallelujah qu’il y avait de plus en plus de monde dans le couloir. Les élèves buvaient la voix de Sora dans un silence funèbre. Même les filles n’osaient pas parler entre elles pour partager leurs rêves sur Sora ou encore leur haine décuplée pour Hallelujah depuis le début de la chanson. Oui, elles l’enviaient déjà avant. Mais un peu moins. Les yeux bleus de Sora n’avaient pas quitté les siens. Pourtant, elle, elle n’avait pas cessé de regarder aux alouettes et de gigoter. Ca la rendait honteuse. Un peu. Mais c’était dans sa nature : elle n’arrivait pas à regarder quelqu’un fixement dans les yeux très longtemps. Sauf quand elle état fâchée, quand elle était sérieuse ou de mauvaise humeur. Dans ces cas-là, elle le faisait sans problème.

La dernière note plana longtemps au-dessus de la classe. Puis, elle s’évapora, comme un rêve au réveil, quelques temps après. Et pourtant, bien que la chanson de Sora soit terminée, la classe résonnait toujours d’un silence impénétrable. Aucun bruit. Rien.

« 5 à 3. »

Hallelujah secoua la tête et le regarda s’avancer entre les rangées de bancs. Elle avait perdu, encore une fois. Heureusement, une idée lui planait au-dessus de la tête depuis que Sora avait fini de chanter. Maintenant, il fallait juste espérer que ça marche.

« Utiliser ma chanson favorite pour me faire rougir. C’est moche. Mais félicitation, quand même. »

Hallelujah essayait d’éviter les regards gênants des autres élèves. Pour la peine, elle se concentra sur Sora.

« Il n’empêche que j’ai bien aimé ta manière de la chanter. »

La guitare dans le dos, Sora s’avança tranquillement vers Hallelujah et sa propre place, juste derrière la sienne. Proche d’elle mais en même temps assez éloigné pour pas qu’ils soient collés. E plus il était derrière, ce qui était parfait pour l’observer et parfois même l’embêter sans qu’elle puisse lui rendre la pareille. Une place de choix dont les seuls à se plaindre étaient les autres élèves les entourant, victimes de leurs incessants jeux et bavardages. De quoi en rendre vert plus d’un.
E blond continua sa remontée de la classe, un sourire victorieux aux lèvres. Il l’avait bien eue. Sans se départir de sa moue, fière et un peu moqueuse à la fois, il regarda Halley secouer la tête à son arrivée.

« Utiliser ma chanson favorite pour me faire rougir. C’est moche. Mais félicitation, quand même.

Haussement de sourcils de la part de Sora, suivit d’un élargissement du sourire. À la guerre comme à la guerre, tout les coups sont permis.

_ Je ne te savais pas narcissique à ce point ; faire de la chanson qui porte ton prénom ta chanson préférée, chapeau ! »

Il se laissa tomber sur la chaise à côté d’elle, bien que ce ne soit pas sa place. À vrai dire, c’était celle du délégué de classe. La jeune fille était vraiment bien entouré : le délégué à droite, l’Otaku à gauche, le canon derrière… bref, tout est dit.

« Il n’empêche que j’ai bien aimé ta manière de la chanter.
_ Oh ? Merci, je n’ai jamais trouvé que je chantais bien personnellement. »

Un pu d’honnêteté dans ce monde de fourbes ! Après s’être habillé - presque déguisé - pour la faire fondre, avoir joué rôle d’amant de shojo, être allé jusqu’à se mettre de l’eau dans les yeux pour sembler plus ému, Sora parlait avec sincérité. Le jeu était passé, il avait gagné, il avait bien le droit d’être naturel avec elle.

« Mais je dois dire que je suis content de te l’avoir chantée, cette chanson est aussi l’une de mes favorites. »

Il sourit. Il n’ajouta pas « Je pensais chacun des mots de ma dédicace. ». Le garçon avait beau être d’un naturel franc, même lui avait quelques limites. En y réfléchissant bien, il ne savait pas trop pourquoi il ne le lui disait pas en fait. La phrase et même son contenu n’avait rien de gênant à ses yeux, il se fichait royalement de toutes les oreilles indiscrètes actuellement en train de les écouter alors… allez savoir. Peut être que quelque chose de plus profond en lui savait que Hallelujah avait compris le message. Peut être pas.

Pour la deuxième fois de la matinée, un toussotement raisonna dans la salle de classe. Tous les regards se tournèrent vers le professeur dont la silhouette se dessinait sur le pas de la porte et qui attendait visiblement que ses élèves partent s’asseoir dans l’ordre et la discipline. Il jeta un coup d’œil désapprobateur à Sora, ses cheveux, sa tenue et sa guitare. Le blond n’aurait pas été aussi bien élevé, il aurait été ravi de lui faire un doigt d’honneur. Il se leva donc avec un grognement et se laissa tomber une chaise plus loin, la sienne celle-là, sans oublier de faire une dernière remarque à sa compagne.

« Au fait : sexy les lunettes. »

Un étouffement dans son dos lui apprit que l’enseignant - et sûrement quelques élèves - avaient malencontreusement avalés leur salive de travers à cause de la vulgarité de ses propos. Tant mieux, ça leurs ferait les pieds. Sora fit un clin d’œil amusé et complice à Hallelujah ; il savait qu’elle aussi s’amuserait de cette réaction. Les nippons étaient vraiment des gens strictes et, autant le dire, coincés. C’était en partie pour ça que le garçon appréciait tellement la jeune fille au cheveux verts : elle n’était ni l’un ni l’autre. Elle évoluait avec lui dans ce monde à part, en marge de la société. Elle était rieuse et survoltée, un peu comme Kazuki en fait. Oui, ils se ressemblaient assez sur ce point là, mais à part ça elle avait une personnalité bien distincte de celle de son frère. Et c’était aussi bien comme ça.

Le cours commença. Sora sortit son cahier et se désintéressa totalement de la suite. Il fixa avec application la nuque de Halle. Il se disait qu’elle finirait bien par le sentir et que la gênerait. Cette idée le fit sourire dans le vide. Étrange vision que celle de Sora, ténébreux de base, souriant joyeusement dans le vide, vous pouvez me croire. Tel le fauve tapi dans la brousse, il attendit patiemment que ce soit au tour de sa proie - Halley - de lire le texte pendant que le professeur notait ses commentaires au tableau. Alors, bondissant comme un tigre affamé, il s’avança brusquement sur sa chaise et « Fiouuuu » lui souffla dans le cou avant de revenir tout aussi rapidement à sa position d’origine. Niark ♥

Gravy and toast !

Narcissique. Ca, pour être narcissique, on ne pouvait pas dire qu’Hallelujah ne l’était pas. Elle s’admirait sans arrêt. C’est à peine si elle n’emportait pas un miroir partout où elle allait. Non, quand même pas… Mais elle ne se gênait pas pour aller aux toilettes rien que pour avoir le plaisir de se regarder dans la glace. Halley était malheureusement atteinte du syndrome de Narcisse comme d’autres sont atteints du syndrome de Peter Pan. Ah ! Quelle tragique histoire que celle de ce jeune homme ! En même temps, Némésis avait été vache avec lui en le poussant à s’approcher d’une fontaine. Mais lui, il avait essuyé maintes demandes. Mmh… Ouais. En fait, Hallelujah devait probablement être l’une des descendantes de Narcisse. Non seulement elle se regardait souvent dans les moindres détails dès qu’elle en avait l’occasion et elle mettait des râteaux. Bon, d’accord. Elle avait mis quelques râteaux, très peu. Peut-être parce que ça décourageait les garçons que de voir leurs amis se prendre des vents… Elle aussi, ça l’aurait découragé. Un petit peu. Mais elle ne pouvait pas dire oui à des hommes qu’elle n’aimait pas amoureusement. C’était ça, être un ange. Être beau, faire le bien. En y réfléchissant, elle faisait plus de mal que de bien quand elle disait non… Rofl.

Hallelujah observa Sora sur la chaise d’à côté. Le délégué de classe allait encore râler en le voyant assis là. Mais ça ne déplaisait pas à Halley. Au pire, elle sourirait au délégué en entortillant des mèches vertes autour de son doigt et en mordillant sa lèvre. Ca marchait à tous les coups. Le délégué succomberait une fois de plus à sa beauté angélique.

« Mais je dois dire que je suis content de te l’avoir chantée, cette chanson est aussi l’une de mes favorites. »

Hallelujah lui sourit et n’ajoutant rien de plus, s’accoudant sur son banc, sa joue dans la paume de sa main. Il n’y avait rien d’autre à ajouter, un sourire suffisait. Il comprendrait par lui-même. Le toussotement exaspéré la sortit de sa bulle. Et merde, il était là cet abruti ? Le délégué était en face d’elle, attendant que Sora libère sa place. Halley croisa les jambes, entortilla des mèches de cheveux et lui sourit, naïvement. Elle jouait parfaitement bien avec l’innocence. Elle entendit la chaise sur laquelle Sora était assis racler sur le sol. Il s’en retournait à sa place. Et le professeur n’avait pas l’air d’aimer sa tenue. C’est dommage, il était sexy pourtant.

« Au fait : sexy les lunettes. »

Avec en prime, un clin d’œil et un sourire d’une complicité singulière. Halley lui sourit et plissa le nez, comme elle faisait quand elle était contente. Des chuchotements s’élevèrent, pas très loin d’elle. Les filles râlaient encore. Mais pourquoi Sora ne leur faisait pas ce genre de remarque à elles ? Halley ricana entre ses dents. Dans leurs… Fessiers.

Le cours passait lentement et les élèves lisaient des textes pendant que le professeur notait ce qui était important au tableau. Halley, elle, échafaudait un plan contre Sora tout en priant pour qu’il marche, cette fois-ci. Elle cherchait des idées pour écrire une lettre. Mais pas une lettre ordinaire : une lettre d’amour. Sauf qu’elle n’était pas du genre à écrire des lettres d’amour. Le professeur toussota une nouvelle fois. Décidemment, il devait certainement avoir un chat dans la gorge. Le délégué lui tapota le bras et Halley fut contrainte de lever les yeux. Et apparemment, c’était à son tour de lire. Et le professeur commençait à s’impatienter. Halley fouilla dans ses feuilles et trouva le texte. Au moment où elle commençait sa lecture, un souffle chaud glissa sur sa nuque.

« Iiiih ! »

Halley se crispa et se retourna, lançant un regard amusé et faussement fâché à Sora. Non mais. Le professeur s’impatientait vraiment alors Halley reprit sa lecture. C’était vraiment chiant. Elle aimait bien lire des textes mais là, elle voulait seulement finir sa lettre. Elle finit sa lecture, écouta pendant deux minutes le prof avant d’arracher un bout de feuille de son cahier et d’y écrire vite faire un « Je t'ai déjà dit que ton cul était sexy ? » suivi d’un petit cœur avant de le déposer sur le banc de Sora. Quelle idée de lui souffler dans le cou, en sachant qu’elle n’aimait pas ça. Enfin, qu’elle n’aimait pas toujours ça… Elle continua sa lettre. Tant pis si c’était bâclé. Et puis, le papier passa par-dessus son épaule. Il avait répondu.

Hallelujah poussa un cri digne d’une petite souris avant de se retourner vers lui, l’œil amusé et vaguement désapprobateur. Il lui fit son sourire le plus charmant avant qu’elle ne revienne à son texte, rappelée à l’ordre par leur professeur décidément bien impatient aujourd’hui. La jeune fille lu donc sagement, articulant de sa voix claire les mots parfois compliqués mais sans jamais se tromper. Du coin de l’œil, Sora vit quelques garçons de la classe la regarder avec un air d’extase sur le visage et ne pu s’empêcher de sourire à nouveau. Elle avait beau avoir les cheveux verts et être totalement anticonformiste, Halle avait tout de même un sacré succès chez la gente masculine - et peut être féminine, qui sait ?

Dès qu’elle eut reposé son fessier sur sa chaise, le délégué de classe à sa droite bondit comme un ressort, prêt à reprendre là où elle s’était arrêtée. Ce mec était sur ressort ou quoi ? Alors que le blond était en train de réfléchir au mécanisme complexe des jambes du délégué, un espèce de mélange d’organisme humanoïde et de technologie de pointe, un petit bout de papier atterrit devant lui. Il provenait d’une feuille à grands carreaux, déchirée et, bien sûr, couverte de l’écriture à l’encre bleu ciel qu’affectionnait sa voisine de devant. S’attendant à moitié à y lire une insulte affectueuse, Sora haussa les sourcils devant le « Je t’ai déjà dit que ton cul était sexy ? » griffonné à la va-vite. Même le petit cœur y était. Rieur, il attrapa son crayon gris et lui répondit avant de relancer le morceau de papier sur le bureau de la jeune fille. Il attendit avec impatience et amusement qu’elle le déplie et y lise sa réponse : « Non, mais tu peux me le dire plus souvent ! ». Bien sûr, le cœur était toujours de la partie.

« Launay-san ? »

Ton rigide, moue sévère. Leur professeur de japonais s’était vraiment levé du pied gauche ce matin. Certes, il n’avait jamais vraiment apprécié Sora qui était un peu trop remarquable à son goût. Mais le garçon était non seulement bien élevé mais aussi bon élève, aussi se leva-t-il à son tour, feuille en main, et lut gentiment la partie qui lui incombait. Blablabla. Des kanjis plus tortueux les uns que les autres, des phrases à rallonges faites sûrement exprès pour que de pauvres élèves s’embrouillent dedans. Bref. Une fois ce calvaire passé, le blond se rassit et, délaissant les jambes du délégué, se perdit dans l’étude des cheveux d’Hallelujah. Sa teinture était vraiment bien faite. Ils étaient propres, sentaient sûrement bon doux ? Bah, sûrement aussi. Les cheveux des filles étaient toujours ainsi il avait l’impression. Sauf verts, bien sûr.

Le doux son de la sonnerie de fin des cours mit fin à son rêve éveillé. S’étirant sur sa chaise, Sora se redressa de tout son long. Bien, plus que deux heures avant la pause de midi. Parfait, parfait, le temps passait presque à une vitesse normale aujourd’hui. Alors qu’il se levait pour profiter de l’intercours et ainsi se dégourdir les jambes, l’enseignant lui fit un signe autoritaire comme quoi il aimerait bien lui parler. Soupirant, le jeune homme se dirigea tout de même vers le vieil homme et écouta d’une oreille distraite son sermon sur sa tenue - aussi bien la vestimentaire que celle qu’il avait en classe. Il s’insurgea un long moment sur l’apport d’instruments de musique qui n’avaient absolument rien à faire là dans une salle de cours et continua sa tirade sur son manque de politesse. Tout sauf captivé, Sora ramassa diligemment le stylo d’une fille qui était tombé au sol et le lui rendit sans rien dire, ennuyé par le professeur qui continuait à parler malgré tout. Cet homme était vraiment borné et un peu gateu pour ne pas remarquer qu’il avait perdu l’attention du blond depuis belle lurette - à compter qu’il l’ait eue un jour.

Quand la sonnerie résonna pour la seconde fois et que leur prochain enseignant rentra dans la salle, celui de japonais se décida enfin à le laisser et lui dit de retourner s’asseoir à sa place. Super, il n’avait même pas pu profiter de la pause. Génial, trop cool, il était ravi. Lorsqu’il posa les mains sur son bureau, il remarqua un nouveau bout de papier plié, d’une taille plus conséquente cette fois-ci. Halle avait répondu. Avec un sourire, il se laissa finalement tomber sur sa chaise et le déplia avec délectation.

Plongeons la pomme dans le chaudron
Pour qu’elle s’imprègne de poison.

Hallelujah déplia le papier avec une hâte enfantine. On se serait cru à Noël, avec le sapin, les guirlandes, les cadeaux, les bougies et… L’impatiente caractérielle des enfants devant l’horloge. Ce n’était peut-être pas le cas chez tous les enfants, mais pour Halley… Elle se rappelait parfaitement de ses Noëls passés chez ses parents, quand elle était petite. Déjà, elle préparait un gâteau avec Zen. Un bon gros moelleux au chocolat, avec du glaçage blanc au-dessus. Et des petites billes d’argent en sucre ! Ensuite, elle décorait le sapin. D’où elle venait, cette tradition, elle n’en savait rien. Mais c’était Zen, son père, qui avait ramené cette coutume de son voyage en Europe. Après les rituels de la fête, il y avait l’attente, devant la télévision, dans le salon. Elle attendait sa mère, qui travaillait de nuit dans l’hôpital du coin et elle attendait aussi… Les cadeaux. Il n’avait jamais été question de père Noël dans la famille Asuna. Mais Hallelujah savait que si elle était sage jusqu’à ce que minuit sonne, elle aurait des cadeaux.

Revenons à nos moutons. Hallelujah parcourut fébrilement le papier des yeux. « Non, mais tu peux me le dire plus souvent ! ». Halley sourit aux anges. Bien sûr, elle se rendait parfaitement compte qu’elle avait l’air débile, à sourire ainsi dans le vide. Mais elle était contente. Et elle replongea dans sa lettre. Qu’est-ce qu’elle pouvait bien raconter dans sa lettre… ? Rah ! Pour elle, écrire une lettre, c’était facile. Un bonjour, du blabla et puis, hop, salutation amicale. Fin de la lettre, elle n’avait plus qu’à l’envoyer. Mais là, ce n’était pas une lettre toute bête dans laquelle elle devait raconter sa chienne de vie. C’était une lettre d’amour. Et les lettres d’amour, ce n’est pas le genre d’Hallelujah. Oh bien sûr, elle avait déjà reçu des déclarations anonymes dans son casier – je rêve d’en recevoir une, allez savoir pourquoi – et ça lui avait fait vachement plaisir. Sauf que son très cher Narcisse était revenu. Non. Non. Non. Combien de fois l’avait-elle prononcé, ce non ? Et puis, elle avait du trouver une excuse pour son nom. Et un sourire gêné, pour dire à la personne qu’elle était vraiment désolée.

Le professeur dit un mot. Ou plutôt, un nom. Launay. Mmh… Hallelujah ne leva pas les yeux, trop concentrée sur son écrit. Alors… « Tu es mon oxygène » ? Non, non, trop bouffon. « Tu es tellement resplendissant que je ne sais plus si tes yeux sont verts ou bleus » ? Jamais de la vie. Elle passa une main dans ses cheveux et la laissa à l’arrière de son crâne. Elle faisait toujours ça quand elle réfléchissait. Halley cherchait des citations de films, de chansons ou encore de livres dans lesquels on parlait d’amour. Mais ce qu’elle trouvait, c’était nul. C’est quand son répertoire mental de musique s’arrêta sur « Your song » qu’elle s’éclaira. Bingo ! Elle dégagea sa main et se remit à griffonner sur sa feuille. Blablabla, « La vie est merveilleuse depuis que tu es là », blablabla, « j’aime les confrontations directes » et ainsi de suite. Elle écrivait rapidement, ignorant la douleur de son poignet meurtri par le nombre de lignes. Et quand la sonnerie se déclencha, elle avait enfin fini. Elle se leva en vitesse, ramassa son stylo qu’elle avait lâché trop brusquement et qui s’était éclaté à terre. Le temps de vérifier qu’il n’avait rien de casser et elle sortit de la salle de classe, le temps d’apercevoir le magnifique postérieur de Sora en l’air alors qu’il ramassait un porte-mine.

Hallelujah marchait vite dans les couloirs, évitant avec agilité les élèves se bousculant dans les couloirs, pressés de retourner en classe. Et elle arriva devant le casier de Sora, situé pas très loin du sien. Encore un coup de hasard. Ah ! Suis-je bête ! Le Hasard n’existe pas. Elle glissa la lettre dans le casier, ignorant les regards des filles. Evidemment, la feuille avait du mal à rentrer, aussi s’acharna-t-elle. Et elle réussit. Avant de repartir en toute hâte vers sa classe, doublant le professeur qui arrivait lentement vers le local. Elle se rassit à sa place calmement, souriante et légèrement stressée. Elle essayait d’anticiper la réaction de Sora mais elle n’y arrivait pas. Qu’est-ce qu’il allait bien dire…

Elle déchira un nouveau morceau de feuille de son cahier et griffonna à la va-vite un « N’essaie pas de me provoquer, Darling, je sais que tu aimes ça. Compte sur moi pour te répéter la sexytude de ton fessier. » avec le petit cœur habituel. Elle plia le papier et l’envoya derrière elle au moment où le prof entrait en classe. Plus que deux heures à tenir.

« N’essaie pas de me provoquer, Darling, je sais que tu aimes ça. Compte sur moi pour te répéter la sexytude de ton fessier. »

Simple et élégant, tout en finesse, du Hallelujah tout craché. Sora aurait pu reconnaitre sa plume entre milles, surtout avec ce genre de petits mots doux à caractère osé. Souriant au vide, il relut une nouvelle fois la simple ligne s’étalant sur le morceau de papier trois fois trop grand pour elle. Sérieusement, que voulez-vous répondre à ça ? Attrapant son crayon, il griffonna sans trop réfléchir « Je t’en serai gré, merci, et compte sur moi pour la sexytude de tes lunettes. Je t’ai déjà dit que le rouge passion t’allait particulièrement bien ? » et, plutôt que de lui envoyer sur la table - coutume d’une banalité navrante - il laissa tomber le bout de papier directement dans l’encolure de sa chemise, devant. Bon courage pour aller le rattraper.

Les deux heures suivantes furent parmi les plus ennuyantes de sa vie. Des maths. Rien de plus simple à ses yeux, aussi se fit-il d’autant plus chier durant le cours. Le blond dessina d’un air distrait des petits bonhommes sur son cahier, répondant à un message de temps en temps. Il n’avait jamais été très doué pour le dessin et ses gribouillis s’en ressentaient. Une caricature ratée du professeur de japonais succédait à une autre, encore plus nulle, du délégué de classe. Il essaya vainement de faire quelque chose de stylisé, s’approchant peut être d’un tatouage ou d’une hypothétique œuvre contemporaine, mais son simple manque de goût le pénalisa plus que son mauvais coup de crayon sur ce coup là. Oui, Sora était d’un mauvais goût ultime. Heureusement qu’il savait au moins accordé les couleurs en s’habillant, sinon c’en était fini de sa réputation de tombeur. Il était sans aucun doute le seul être humain de plus de 5 ans et avec un QI supérieur à 60 voulant se faire tatouer les prénoms de ses frères et sœurs dans un cœur sur l’avant bras gauche. Enfin, « voulant » disons que l’idée lui avait vaguement traversée l’esprit lorsque Kazuki lui avait fièrement arboré son lotus sous le nez. Ah, il se souvenait encore de l’engueulade mémorable qui en fait suivit…

Nostalgique pour une raison qui n’en valait pas la peine, Sora continua de remonter le fil de ses pensées. Il réfléchit à la prochaine chanson qu’il pourrait bien chanter, que ce soit à Halle ou à quelqu’un d’autre. Car, maintenant qu’il l’avait expérimenté, il réalisait que la vie de comédie musicale n’était pas tant dépourvue de charmes que ça. Prendre une guitare et chanter ce qu’on veut dire, ça avait un petit côté théâtral qui ne lui déplaisait pas. Enfin, tant que ça restait exceptionnel, bien sûr. Il allait pas non plus commander son repas au self en poussant la chansonnette, fallait pas pousser. Tiens, en parlant de repas !

Comme tout bon adolescent mâle en pleine croissance, le chevalier réalisa soudainement qu’il avait faim. Son ventre émit un gargouillement très élégant, appuyant de ce fait son raisonnement. Oui, il avait la dalle. Laissant alors de côté et ses dessins et sa musique, il se mit à fantasmer sur les différents plats qui seraient servis au réfectoire aujourd’hui. Certains fantasme sur des choses plus charnelles et sans doute sensuelles, mais pas Sora. Ou du moins, pas quand il a faim.

« Tum, tum, tum tum ! »

Il fut le premier débout quand retentit enfin la sonnerie. Avant qu’elle ait pu faire un geste, il appuya sa main sur le bureau d’Hallelujah, le regard gourmand - pas pour ce que vous pensez bande de cochons !

« On va manger ? »

Une fois la demoiselle levée, ils partirent ensemble vers le couloir sous quelques regards et murmures. Pas que ça soit un évènement qu’ils mangent ensemble, c’était même presque courant. Mais voilà, il faut toujours que ça jase, que voulez-vous. Sora devant se fournir en argent, ils allèrent donc tout naturellement vers son casier. Sans même remarquer que sa compagne était mal à l’aise, le garçon l’ouvrit et regarda avec étonnement la lettre tombée à ses pieds. Kézako ? Il se pencha, l’attrapa et… ah. Une nouvelle lettre d’amour. La plaçant tout simplement sous son bras, il prit son porte-monnaie et ferma son casier. Il la lierait pendant le repas. Se tournant une nouvelle fois vers Halle, il lui fit un sourire.

« Let’s go ! »

Please, don’t leave me
Tala lala
Please, don’t leave me

Une chose rêche et froide glissa dans son dos. Hallelujah fronça les sourcils. L’objet non identifié venait d’atterrir dans l’attache de son soutien-gorge après s’être quelque peu promener sur sa colonne vertébrale. Bordel. Halley contorsionna son bras du mieux qu’elle put et palpa sa chemise à l’endroit où l’inconnu séjournait, paisiblement, comme si de rien n’était. Le salaud. Elle savait ce que c’était et qui c’était. Un mot. Sora. Les bras toujours dans le dos, elle offrit un magnifique doigt d’honneur invisible à son ami. Pour lui montrer toute sa gratitude pour avoir osé mettre le mot à cet endroit. Elle l’aimait, Sora. Beaucoup. Mais parfois, il avait vraiment de drôles d’idées. Hally resta quelques instants dans cette position. Comment faire pour déloger le mot sans pour autant offrir une séance de streap-tease aux garçons de la classe ? Rah ! Tant pis ! Elle devait passer le bras sous sa chemise, bomber le torse pour permettre un accès plus facile, atteindre son soutif et prendre le mot. Oui, mais il y a toujours un problème dans ces moments-là : Jah y était presque mai voilà, l’attache de son soutien-gorge diabolique ne résista pas à la tentation et se défit. La jeune fille pesta, râla, s’énerva et plein d’autres choses en a. C’est après dix minutes d’acrobatie et de déshabillage qu’elle parvint à boucler ce maudit fermoir. Problème de filles, répondit-elle au professeur quand celui-ci lui demanda la cause de ces gigotements. Il fit mine d’avoir compris mais il était plus que clair qu’il se trompait sur toute la ligne. La semaine tomate, c’est à la fin du mois.

Le vieux croulant fit place à Shane. Enfin… A Monsieur Hideaki. Elle recommença à jouer nerveusement avec ses doigts. Cette situation l’énervait profondément. Il fallait qu’elle lui parle, mais quand ? Il y avait trop de monde dans l’établissement et trop d’oreilles indiscrètes. Et il n’était jamais seul. Lorsqu’il n’était pas avec les autres professeurs, il était soit avec son filleul, soit avec d’autres élèves. Halley savait tout ça. Et elle était jalouse. Jalouse des gens qui l’approchaient de trop près. Jalouse des gens qui lui parlaient et qui le connaissaient. Elle, elle n’avait pas cette chance. Elle, elle était juste réduite au rang d’élève à ses yeux. Et elle voulait être plus. Il fallait qu’elle lui parle, qu’elle lui raconte tout de A à Z. D’Alpha à Oméga. Et il fallait qu’elle en parle aussi à Sora. De ce côté, c’était un peu plus compliqué. Shane, il fallait juste qu’elle le coince dans un coin isolé pour tout lui dire. Sora, il fallait qu’il l’accepte. De plus, elle ne savait pas comment l’aborder. Et elle craignait sa réaction.

Les deux heures s’écoulèrent lentement. En même temps, Hallelujah avait complètement décroché du cours à partir de la première demi-heure. Elle regardait les schémas et chiffres au tableau sans comprendre. Qu’est-ce qu’il venait faire là, ce signe ? Que dalle. Elle écoutait Shane sans l’écouter, elle le voyait sans le voir. La seule et unique chose qui la sortait de sa torpeur mathématiquement abyssale, c’était les mots qu’elle recevait et envoyait à Sora. Ces petits mots écrits rapidement à l’encre bleu ciel bourrés de sous-entendus. Elle aimait bien les sous-entendus. Elle ne devait pas, mais elle aimait bien. Liberté, tu n’as pas de prix.

Râclements de chaises sur le sol, discussions vives qui reprennent et gargouillements sonores. Manger ! Une main se posa sur son bureau. Elle l’aurait reconnue entre mille, cette main. Une peau beige parcourue de cicatrices mineures, munie de doigts longs et fins. Celle de Sora. En même temps, si le délégué avait une main pareille, elle se poserait des questions sur son compte.

« On va manger ? »

Hallelujah ne se le fit pas dire deux fois et hocha la tête. Elle crevait la dalle. Manger, c’était tout ce qui lui importait pour le moment. La jeune fille se leva, remit ses vêtements et suivit Sora joyeusement, profitant de passer devant un groupe de filles jacassant sur elle pour leur jeter un regard victorieux et moqueur.

« T’as trop de succès, Sora. Regarde ces filles : elles se languissent de toi ! »

Elle parcourut les couloirs jusqu’au casier de Sora, bavardant comme n’importe quel jour. Ce n’est qu’au moment où il ouvrit son casier qu’elle perdit le sourire. La lettre. Il allait la voir, la lire et peut-être même, rigoler. Non, quand même pas. Elle le laissa regarder la feuille de papier lignée et grogna en le voyant la mettre sous son bras. Elle se força à sourire de nouveau.

« Let’s go ! »

Elle le suivit, arrachant nerveusement les peaux mortes autour de ses doigts. Arrivée devant la porte du réfectoire, Halley entra à la suite de son ami, s’installant derrière lui dans la file. Elle s’approcha de lui, se colla presque contre son dos et lui murmura curieusement à l’oreille.

« Qu’est-ce que tu gardes sous ton bas ? »

Jouons à celle qui ne sait pas.

« T’as trop de succès, Sora. Regarde ces filles : elles se languissent de toi !
_ Tu peux parler ! Le délégué te mange carrément dans la main ! »

Ensemble, ils atteignaient vraiment des sommets de narcissisme. Ils étaient beaux, jeunes et cons et ils le savaient parfaitement. En fait, leurs discussions étaient principalement axées sur des compliments pseudos ironiques et qu’ils savaient tout deux totalement véridiques. Sora pourrait toujours se défendre en disant des choses comme « Mais non voyons, on se prend pas au sérieux ! C’est pour s’amuser ! » mais ce serait que purs mensonges. Après tout, ils adoraient se pavaner au bras de l’autre juste pour voir les regards hargneux de leurs chers et tendres camarades. Mais que voulez-vous, un peu trop d’ego n’a jamais tué personne. Et ils sont encore assez jeunes pour redresser le tir. Un jour. S’ils le veulent ou en voient l’utilité.

Ils marchèrent donc côte à côté dans le couloir, fendant aisément la foule dense des étudiants souhaitant se rendre au réfectoire pour manger, savourant sans se l’avouer les regards envieux posés sur eux. Ils firent une brève halte au casier du blond dans lequel il prit son porte-monnaie ainsi que la lettre qui l’y attendait. Encore une. Non, il ne pensait pas ça d’un air blasé ou lassé, ce serait le prendre pour plus salop qu’il ne l’est ! En fait, il était même plutôt triste. Sous ses apparences de playboy, Sora était un romantique. Certes, il avait mauvais goût et ses déclarations d’amour ressemblaient plus aux paroles d’une chanson de Lorie qu’à autre chose, mais ça n’empêchait pas qu’elles venaient du cœur ! Alors, accepter de sortir avec la première venue… Oui, il était déjà sortie avec des filles sans être amoureux d’elles. C’était rare - vu qu’il avait un vrai don pour tomber amoureux de tout ce qui passait -, mais c’était arrivé. Seulement quand la fille en question ne l’aimait pas non plus. Ç’aurait été lui donner de faux espoirs sinon.

Sora pris donc la lettre et la calla sous son coude en même temps qu’il fermait son casier. Hallelujah poussa un drôle de grognement et il leva un œil vers elle. What ? Elle lui fit un joli sourire, peut être un peu forcé, alors il lui sourit à son tour. Il ne comprendrait jamais parfaitement le cerveau féminin, il s’était fait à l’idée voilà un moment. Il l’invita seulement à reprendre la route et elle le suivit sans rien ajouter. Peut être avait-elle vu un truc déplaisant dans son casier ? Il n’avait pourtant aucune image de grenouille ou autre batracien…

Arrivé à la cafétéria, il posa sa lettre sur un coin de son plateau et se glissa dans la queue, Halle sur les talons. Il était en train d’attraper un bol de riz quand il sentit sa chaleur contre son dos, son petit menton s’enfonçant douloureusement dans son épaule sans qu’il fasse rien pour se dégager. N’étant pas japonais de souche, les contacts physiques ne le révulsait pas. Il savait parfaitement que si un professeur les voyait là tout de suite maintenant, il s’étoufferait avec son bol de nouilles et mourrait dans d’atroces souffrances. Mais ça ne le dérangeait pas. Enfant, ils faisaient la bise aux gens, alors c’était pas une fille plus appuyée sur lui qui allait le faire défaillir. Les japonais étaient des gens étranges. D’ailleurs, il s’était toujours demandé si Hallelujah l’était vraiment. Déjà, à cause de son prénom, bien sûr. Ensuite, parce qu’elle ne se comportait pas vraiment comme telle : elle le collait et s’était teint les cheveux. Tout sauf nippon comme attitude. Mais bref, il s’en fichait. Tant qu’elle restait ce qu’elle était, elle pouvait bien être russe ou colombienne qu’il n’en avait rien à faire.

« Qu’est-ce que tu gardes sous ton bras ?

Son souffle lui chatouilla agréablement l’oreille. Il tourna un peu le visage vers elle, un sourire au coin des lèvres. Ils étaient proches, son nez lui touchait presque la joue.

_ Une lettre, tu vois bien ? Je crois que c’est une lettre d’amour, je suis pas sûr. Je l’ouvrirai quand on sera assis. »

La file devant lui avança et il en fit de même. Une fois son plateau bien garni il se dirigea dans la salle à la recherche d’une table vide, qu’il trouva plus ou moins en son centre. Une table rectangulaire, prévue pour six, et dont-ils seraient ne pas douter les seuls occupant. Personne ne venait jamais se mettre à côté d’eux lorsqu’ils mangeaient. Bizarre, ils ne mordaient pourtant pas. Enfonçant une bouchée dans sa bouche, il entreprit d’ouvrir la lettre sans cesser de mâcher. Oui, c’était belle et bien une lettre d’amour. Mince. Sora se sentait triste pour cette jeune fille qui la lui avait écrite. Repousser les sentiments des autres était toujours douloureux. Bon, il était temps de la lire.

Je ne sais pas quoi mettre pour commencer ma lettre… En plus, écrire une lettre, c’est devenu ringard de nos jours. Ah ! Je savais que j’aurais du t’envoyer un mail ! Mais mon adoration pour les écritures manuscrites a pris le dessus… Tu sais ce que je peux devenir devant un stylo et un papier. Bref. Revenons à notre problème. Enfin, mon problème. Donc voilà, si je mets « cher Sora », j’aurai l’impression de m’adresser à un membre lointain de ma famille tandis que si je mets « mon cher Sora », cela voudrait dire que je m’adresse à un amant caché. Alors, j’ai décidé de ne rien mettre. Ne prend pas la mouche, c’est pour mon bien ! Sauf si tu préfères que je mette « cher Sora » pour t’inclure dans ma famille de fous furieux et de te faire passer pour un vieux ayant échappé à la prison. A tes risques !

Tu sais, les trucs gnangnans, c’est pas mon truc. Bon, d’accord, je l’avoue : les films d’amour, ça me fait pleurer. Mais écrire des lettres dans le style de celles de Roméo s’adressant à Juliette, ce n’est pas pour moi. Du coup, je pense que je vais vite envoyer valser les « tu es mon oxygène » ou encore les « la vie est merveilleuse depuis que tu es là », même si c’est vrai. Moi, je pense que je suis plus du genre brutal. Les confrontations directes, j’adore ça. Tu sais, je me reproche, parfois, de ne pas ressembler à une fille quand je suis avec toi. Et ça me pèse. Mais les talons, ça fait hyper mal. En parlant de confrontations, je vais te confronter. Là, maintenant, tout de suite. Mais avant je veux que tu bouches tes oreilles. Bouche les du mieux que tu le peux. Tu ne dois plus rien entendre dans ta tête à part ma voix. Je sais que c’est compliqué. Tu ne vas pas rigoler, n’est-ce pas ? Ce serait salaud envers une pauvre et innocente jeune fille. De toute façon, t’as pas intérêt ou je te démonte… Et plus si affinité. De toute façon, tu vas le deviner. Je ne suis pas bête à ce point-là. Tu devines toujours ces choses-là. C’est comme si tu voyais les liens reliant les personnes entre elles. Et puis, dans ce domaine, tu t’y connais mieux que moi.

Je vais vite me dégonfler, parce que c’est compliqué et que j’ai peur que tu ne le prennes mal. Même si, personnellement, ça ne devrait pas. De plus, je suis là, à parler comme une conne de ma vie, d’allusions sur Juliette et Roméo, de citations sur l’amour et je n’en suis même pas au but. Tu sais – et je sais que tu le sais – ça fait quelques semaines que je cogite, dans ma tête. Et ça fait aussi quelques semaines que je suis coincée devant une page blanche. Même en cours, je n’y arrivais pas. Je vais me lancer, laisse-moi encore deux lignes pour me calmer mentalement. Parce que je suis sérieuse, là : mes mains tremblent. Et même que je vais l’écrire en grand, l’aboutissement de cette lettre. Parce que c’est très important.

Je t’aime

Tu vois, j’ai blablaté pendant des lignes et des lignes rien que pour te dire ces trois mots. Avoue que je suis forte quand même.

A comme Anonyme

La regard voilé, il bu lentement un verre d’eau. C’était étrange. Il savait qu’il allait devoir la repousser mais… comment ? Une si jolie lettre. Si jolie et si anonyme. Qui avait bien pu lui écrire ? Pourtant, l’écriture lui semblait familière… Oh.

I like to move it move it !

Son nez touchait presque sa joue. Presque. C’est là que l’adverbe prenait tout son sens. Son souffle chatouillait son visage. Elle aurait pu rougit. Oui, elle aurait pu. Mais elle avait l’habitude de la proximité. Tout ça parce que son père avait fait des études en Europe où les contacts physiques n’étaient pas vu comment étant source de malheur. D’ailleurs, elle aimait bien ça. Même si sa mère grondait parfois Zen parce qu’il avait « appris de mauvaises choses à sa fille ». Quelles mauvaises choses ? Ah oui, pardon. Le blablatage sur tout ce qui est pur et qui se doit de le rester. Mais Halley était pure. Comme une rose. Elle avait juste besoin de plus de liberté que les autres. Elle ne franchissait jamais la limite. Elle la frôlait, c’est tout. Elle sourit à Sora.

« Une lettre, tu vois bien ? Je crois que c’est une lettre d’amour, je suis pas sûr. Je l’ouvrirai quand on sera assis. »

Halley sentit son cœur remonter dans sa poitrine et son estomac se nouer. Il fallait qu’elle reste naturelle afin qu’il ne se soucie de rien. Evidemment, elle était persuadée qu’il entend son cœur. Ou du moins, qu’il le sentait.

« Tu me la montreras ? »

Evidemment, qu’il allait la lui montrer, quelle question. La file bougea et Hallelujah attrapa un bête sandwich au passage. Elle n’avait pas vraiment faim. A cause de la lettre ? Peut-être. Mais surtout parce qu’elle n’avait pas spécialement faim. C’était souvent comme ça, avec Halley. Quand elle n’avait pas faim, elle se forçait, pour ne pas perdre connaissance. Elle suivit Sora et s’installa en face de lui. Décidemment, les autres élèves croyaient vraiment à cette histoire de couple. Et à chaque fois, ils étaient à deux sur la table. Une grande table de six personnes réduite à n’en contenir que deux. Pauvre table. Mais Halley aimait bien rester seule avec Sora. Les tables bruyantes, ça lui allait, mais parfois, il lui fallait du calme. Surtout après deux heures de math… Elle avait besoin de faire le vide dans sa tête, d’oublier Shane quelques instants. Oui, Shane. Elle devait lui parler. Mais pas maintenant.

Maintenant, il y avait la lettre que Sora tenait dans ses mains. Sa lettre. Celle qu’elle avait écrit sans y penser. Non, ce n’était pas vrai. Ce qu’elle avait dit, c’était vrai. Enfin… Non, l’aboutissement n’était pas exact. Elle l’aimait, oui. Beaucoup, même. Mais pas comme le voulait la lettre. La lettre parlait d’amour et Halley… Elle parlait d’amitié. Oui, oui. Enfin, c’était bizarre comme relation. Ambiguë.

Sora ne parlait plus. Il lisait. Et Halley faisait semblant de s’intéresser à son sandwich sans quitter son ami des yeux. Elle cherchait une émotion sur son visage, elle cherchait un sentiment. Quelque chose qui lui donnerait un indice. Un sourire, de la rougeur. Surtout de la rougeur. Mais il ne bougeait pas, il lisait la lettre avec sérieux. Les yeux de Sora se voilèrent et Halley baissa les siens, se mordit la lèvre. Il lui faisait peur. Légèrement, pas beaucoup. Mais elle n’aimait pas ce regard. Elle préférait voir le sourire de Sora, entendre sa voix joyeuse. Mais pas ce regard, pas ce sérieux. Elle tapa nerveusement du pied sur le sol. Elle releva la tête et sourit de toutes ses dents. Il était temps de lui parler.

« Alors ? Elle donne quoi cette lettre ? »

Elle mordit une nouvelle fois dans son sandwich et attendit la réponse avec patience. Elle voulait qu’elle vienne. Et elle voulait la voir. Mais l’air grave de Sora la marquait.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Elle est si belle que ça ? »

Elle tendit la main, souriante.

« Tu me la montres ? Ou tu la gardes jalousement pour toi tout seul ? »

Oh.

Et Halley qui papotait à côté. Elle voulait tout savoir, tout lire, tout commenter. À croire qu’elle n’avait pas faim car sa bouche n’était jamais pleine, lui permettant ainsi un plus grand champ d’action afin de poser une nouvelle question. Sora les entendait vaguement, d’une oreille, comme des paroles lointaines et à peine intelligibles. Vaguement, car il s’était bouché les oreilles en lisant. Oui, il l’avait fait. Cependant ses pensées étaient toutes tournées vers l’auteur de la lettre, cette jeune fille anonyme qui venait pourtant de se confesser. Comment allait-il bien pouvoir lui répondre ? Certes, l’écriture lui disait quelque chose, mais il n’était expert en calligraphie et il serait bien incapable de reconnaitre quelqu’un juste à sa façon d’écrire les « l » ou les « b ».

Il posa enfin la lettre sur son plateau, ayant terminé sa lecture, le regard perdu dans le vide devant lui. Enfin, « vide ». Son regard rencontrant inopinément celui pressant d’Hallelujah. Oh. Mince. Qu’est ce qu’elle lui disait, déjà ? Peut être comprit-elle le désarroi de son compagnon, peut être enchaina-t-elle juste sur sa question suivante, allez savoir, mais elle tendit la main vers lui en souriant :

« Tu me la montres ? Ou tu la gardes jalousement pour toi tout seul ?

Sora replia soigneusement la lettre et la garda serrée entre ses doigts. Une moue d’excuse sur le visage, il dit simplement :

_ C’est bien une lettre d’amour. Désolé, je crois que je vais la garder pour moi. »

Il commença à jouer distraitement avec le bout de papier, cherchant les mots les plus appropriés pour expliquer son refus à la jeune fille. Ce n’était pas qu’il voulait absolument pas la lui montrer c’est juste que… il ne s’en sentait pas le droit. En fait, il avait un peu peur de la réaction d’Halley. Qu’allait-elle dire ou faire ? Elle était toujours franche dans ses émotions comme dans ses réactions, mais face à une lettre d’amour…? Dans tout les cas, il devait s’expliquer.

« Tu vas peut être me trouver un peu ringard, sûrement mais… Cette fille m’a livré ses sentiments et euh… je sais pas si elle apprécierait que je les montre à n’importe qui, t’en penses quoi ? »

Ok, Sora n’y connaissait rien en psychologie féminine, aussi demandait-il son avis à Halley bien que ça soit assez… contradictoire. Il lui disait non puis lui demandait s’il avait eu raison de le faire. Que voulez-vous, il ne pouvait pas tout savoir non plus. Son regard alternait entre son amie et la feuille. D’un côté, il mourrait d’envie de la lui montrer, pour qu’elle lui donne en quelques mots son avis sur la question et, peut être, l’identité de la jeune fille. D’un autre, il ne supportait pas l’idée qu’elle puisse se moquer ou faire ne serait-ce qu’un commentaire désagréable sur la lettre et son contenu. Il se disait qu’il avait fallu un sacré courage pour l’écrire et la mettre dans son casier, et le courage on ne crache pas dessus.

Pour ceux qui l’auraient oublié, Sora était et reste blond. Et plus que tout au monde, c’était sans aucun doute les filles qui lui donnaient le plus de mal de crâne - que ce soit à force de lui taper dessus ou de lui échauffer les neurones. Pour se changer les idées, il prit une bouchée de riz et la mâcha soigneusement, ce qui lui rappela soudain qu’il avait faim. Il déchaina donc sa fureur sur son plateau repas, l’engloutissant avec cette vitesse et cette grâce que seul un adolescent en pleine croissance peut avoir. Entre deux bouchées, il finit par répondre à l’une de ses précédentes questions :

« Et oui elle est belle, cette lettre. Je veux dire, elle est simple, directe, brute. Et c’est en ça qu’elle est belle.

Nouveau mâchouillage. Il leva un regard bleuté sur Hallelujah. Pouvait-il lui dire ça ? Ok, il avait carrément des soupçons sur l’auteur de la lettre. Les allusions, le caractère et même l’écriture… Mais, sérieusement, est-ce que ça se pouvait ?

_ Je crois que je connais la fille qui l’a écrite, mais j’en suis pas sûr parce qu’elle est anonyme.

Petite pause théâtrale, le temps d’avaler.

_ En fait, je suis sûr de la connaitre. J’ai même une idée sur son identité. »

Suivez mon regard.

Heidi
Petite fille des montagnes
Heidi
Petite fée de nos campagnes ♪

Les doigts de Sora s’agrippèrent sur le papier ligné. Ah. Halley haussa un sourcil en grimaçant légèrement. C’était un refus ? Elle ne pourrait pas lire la lettre ? Enfin… Relire sa lettre ? Elle replia lentement les doigts et soupira en silence.

« C’est bien une lettre d’amour. Désolée, je crois que je vais la garder pour moi. »

Bien sûr que c’était une lettre d’amour. Hallelujah en connaissait presque chaque ligne. En même temps, elle avait été inspirée sur le coup. Elle n’avait jamais écrit un texte aussi vite. D’habitude, il lui fallait plus d’une heure pour écrire un bon texte mais là, en une demi-heure, c’était fini. Et elle n’avait même pas bâclé son écriture. Mais elle aurait du. Hallelujah se mordit la lèvre inférieure tout en combattant une nouvelle vague d’angoisse. Et si jamais il reconnaissait son écriture ? Et s’il reconnaissait son style d’écriture, sa manie d’aller droit au but tout en tournant autour du pot ? Qu’allait-elle dire s’il reconnaissait ces facteurs ? Et lui ? Qu’allait-il faire, penser, exprimer ? La vanner ? Rigoler ? … Se fâcher ? Non, pas ça. Il pouvait dire ce qu’il voulait, faire ce qu’il voulait mais pas se fâcher. Elle ne le supporterait pas. Halley afficha une moue boudeuse, plus fausse que vraie.

« Tu vas peut-être me trouver un peu ringard, sûrement mais… Cette fille m’a livré ses sentiments et euh… je sais pas si elle apprécierait que je les montre à n’importe qui, t’en penses quoi ? »

Il avait raison. Même si c’était une fausse lettre, elle n’aurait pas aimé la voir voyager dans les mains de tout le monde. Elle avala la nourriture qu’elle avait en bouche et réfléchit à ce qu’elle pouvait bien répondre. Elle sourit en observant Sora, accroché à la lettre. Tout le monde le voyait comme étant un caïd, une racaille. Quelqu’un qui n’obéit à personne. D’une certaine manière, ils avaient raison. Sora était libre. Mais ce n’était pas qu’une brute épaisse. Il respectait les sentiments de chacun. Et c’est ça qu’Halley aimait en lui, en dehors de son sourire. Elle comprenait pourquoi il avait du succès. Certes, il avait un physique plus qu’avantageux, un accent exotique dans la voix et… Et pleins d’autres qualités, mais il avait aussi un cœur. Elle était sûre que toutes les lettres d’amour qu’il recevait avaient de la chance d’être gardée si précieusement.

« Je pense que c’est tout simplement adorable de ta part de ne pas me la montrer. »

Nouvelle bouchée.

« Tu sais, ça devient rare les garçons qui… pensent comme toi. Ils ne font plus que se moquer maintenant… »

Ouais. Halley parlait de ces pseudo caïds qui se moquaient de tout le monde, martyrisaient les petits mais qui la regardaient passer dans les couloirs avec des yeux de merlans fris. Même les brutes ne lui arrivaient pas à la cheville ! Elle tripota nerveusement une mèche de cheveux verte avant de sourire de toutes ses dents en lui donnant un petit coup de pied affectueux dans le tibia. A défaut d’une tape virile sur l’épaule.

« Je suis fière de toi ! »

Hé, hé ! Une réponse digne d’une grande sœur à son petit frère amoureux pour la première fois de sa vie. Sauf qu’Hallelujah n’avait rien d’une grande sœur, qu’elle n’avait aucun lien de parenté avec Sora et que ce n’était pas la première fois qu’il tombait amoureux. Elle termina son sandwich tout en écoutant les qualités de cette lettre. Oui, pardon. Sa lettre. Simple. Ouais, en cours, on ne se lance pas dans le compliqué. Directe. Pourtant, elle avait fameusement tourné autour du pot. Brute. Pardon ? C’était positif au moins ? Disons que oui. De toute manière, il n’y avait pas de raison à ce que cela soit négatif. C’est en ça qu’elle est belle. Oh. Merci. Elle n’allait pas dire ça, sinon son identité secrète ne serait plus si secrète.

« Wow. C’est vrai qu’elle doit être belle, cette lettre. »

Oui. Halley était narcissique.

« Tu sais, Sora, je t’envie ! De nos jours, les garçons n’envoient plus de lettres d’amour inconnues ! On a juste droit à un ‘Toi, je t’ai dans la peau !’ pour les débiles et des balbutiements tout mignons pour les timides. »

Eh ouais, elle n’avait pour ainsi dire jamais eu de lettres d’amour. Il n’y avait que les filles qui écrivaient des lettres. Ah ouais, Hally est une romantique. Légèrement, elle n’allait pas jusqu’à planifier une vie future. Elle ne se voyait plus du tout mère de quatre enfants, mariée à un homme aimant, un chien couché à ses pieds. Que dalle. Quand Hallelujah releva les yeux, Sora la regardait fixement.

« Je crois que je connais la fille qui l’a écrite, mais j’en suis pas sûr parce qu’elle est anonyme. »
« Alors là, je peux pas t’aider. »

Sora se tut. Le temps d’un battement de cœur.

« En fait, je suis sûr de la connaître. J’ai même une idée sur son identité. »

Et il la regarda fixement. Halley aurait du se rendre en hurlant qu’elle était coupable. Mais non en fait. Autant jouer la comédie jusqu’au bout.

« Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

Elle posa une main sur son visage et frotta sa joue.

« J’ai un truc sur le visage ? »

Il fallait qu’elle échappe à ses yeux. Sinon, elle rougirait encore une fois.

« Je pense que c’est tout simplement adorable de ta part de ne pas me la montrer. »

Hallelujah souriait de toutes ses dents, mâchant de temps en temps. Sora avait l’impression d’être un petit garçon de 5 ans que sa maman réconfortait, mais il était content, d’un certain côté. Parce que bon, c’était vrai, quoi. Il allait pas montrer cette lettre à tout bout de champ. Certes, Halley était une super copine et il aurait pu, mais il se mettait à la place de cette fille et se disait que, lui, à sa place… Brr, rien que d’y penser il était angoissé. Comment les filles pouvaient-elles supporter cette pression en allant mettre leur lettre dans le casier du garçon qu’elles aimaient ? Est-ce que ça faisait partie du plaisir ? Genre, le goût du risque ? Allez savoir, les voies de la femme sont impénétrables.

« Tu sais, ça devient rare les garçons qui… pensent comme toi. Ils ne font plus que se moquer maintenant…

Ah, oui, il était en train de parler, c’était vrai. Sora poussa un soupir dédaigneux. Pff, c’étaient pas des vraies hommes, ça.

_ Ils se donnent juste un genre. La plupart ne sont jamais tombé amoureux, ils ne savent pas ce que ça fait de se faire rejeter. Comme si c’était en jouant les durs, les inaccessibles, qu’ils allaient finir par le devenir. Pitoyable. »

Oui, il était méchant. Ce genre de gars ne méritait que ça de toute façon, sa méchanceté. Ils bousculaient les filles, leurs camarades de classe, tout ceux qui ne leur revenaient pas en fait. C’étaient juste des débiles finis qui comprenaient rien à rien, qu’ils grandissent un peu ! Un coup dans son tibia le sortir dans ses pensées et il leva un regard surpris vers la jeune fille aux cheveux verts. Il pouvait presque la voir balancer joyeusement des jambes à travers la table, tellement le contentement se lisait sur son visage radieux.

« Je suis fière de toi ! »

Il ne dit rien. Ni merci, ni c’est trop gentil, rien. Mais il posa son menton au creux de sa paume et lui sourit. Pour Sora, ça voulait tout dire. Il était content qu’il y ait des gens comme Halley dans ce monde. Rapidement, avec ses propres mots, il lui expliqua ce que cette lettre avait de beau, ce qui lui avait plu en elle. Il n’était pas tellement doué pour les compliments - sauf bien sûr quand il s’agissait de faire la cours à une jolie demoiselle en lui récitant des poèmes d’amour éternel - alors il lui livra un peu ses idées comme elles venaient. Et tous ces qualificatifs, belle, brute, simple et même la franchise avec laquelle elle exprimait ses sentiments - pas de « je crois qu’il est possible que j’éprouve quelque chose pour toi » -, oui, tout ça lui rappelait étrangement… Hallelujah. Le blond continua de la fixer. Peut être allait-elle finir par cracher le morceau.

« Tu sais, Sora, je t’envie ! De nos jours, les garçons n’envoient plus de lettres d’amour inconnues ! On a juste droit à un ‘Toi, je t’ai dans la peau !’ pour les débiles et des balbutiements tout mignons pour les timides.
_ Il reste toujours des garçons assez romantiques pour chanter une chanson d’amour devant une classe bondée, non ? lui fit-il remarquer en souriant. »

Ah, mince, il s’égarait là. Il devait lui faire passer sa pensée, de manière subtile si possible. Son regard bleuté fixé dans ses grandes iris, il attendit vainement que la jeune fille réagisse. Eh, oh, je te regarde d’un air suspect là, tu pourrais pas dire quelque chose ? À moins que ça ne soit pas elle ? C’était également une possibilité envisageable… Enfin, avant de se lancer dans des hypothèses farfelues, autant faire passer le message plus clairement :

« Je crois que je connais la fille qui l’a écrite, mais j’en suis pas sûr parce qu’elle est anonyme.
_ Alors là, je peux pas t’aider.

Grmpf, allez, insistons.

_ En fait, je suis sûr de la connaître. J’ai même une idée sur son identité. »

Plus insistant que ça, tu fais pas. Sauf, à la limite, si tu rajoutes un petit « Tu es sûre que tu ne peux vraiment pas m’aider ? ». Mais Sora n’était pas lourd à ce point. Alors il se contenta de la regarder fixement, histoire de voir sa réaction. Elle hésita un peu, mal-à-l’aise. Mademoiselle n’est pas tranquille, hein…

« Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ? »

Il ne répondit pas. Moins il parlait, plus elle parlerait. Il le savait, c’était un fait prouvé scientifiquement ; le silence rend les gens nerveux et les pousse à le combler. Et puis, Halley était le type même de personne qui parle tout le temps, il était bien placé pour le savoir. Elle finirait par craquer et, alors, il saurait si elle était impliquée dans cette histoire ou non.

« J’ai un truc sur le visage ? »

Tsss, mais c’est qu’elle avait du répondant ! Et la voilà qui se frottait le visage, un petit sourire ingénu aux lèvres. Comme si tout allait bien. Alors que ses yeux disaient clairement le contraire. Sora posa sa fourchette et attrapa le bord de la table du bout des doigts, le cou tendu en avant. Vas-y, dis moi maintenant que tu ne connais pas l’identité de la personne qui a écrit cette lettre. Dis le moi, en me regardant bien droit dans les yeux. Plus le temps passait, plus il avançait. Elle s’obstinait à ne rien dire, la charogne. Il avançait, avançait, avançait. Son nez touchait presque le sien quand il finit par lui demander :

« Tu es sûre, que tu n’en as aucune idée ? »

Eh bien voilà, il avait fini par la sortir cette phrase.

A partir de maintenant, on va faire les choses à ma manière.
Hallelujah sentait le regard inquisiteur que Sora posait sur elle. Elle essayait de lui échapper, tentant vainement de se raccrocher à quelque chose. Tout était bon pour fuir l’azur de ses yeux. Elle promena ses iris d’émeraude sur les hordes d’étudiants envahissant le réfectoire. Elle cherchait quelqu’un, que ce soit Akane ou Shane. Il fallait qu’elle reprenne courage en regardant une personne qu’elle aimait. Elle aurait pu regarder Sora pour pouvoir sourire à nouveau mais les yeux de son ami devaient certainement avoir des pouvoirs magiques. Un genre de scrutation qui observait tout chez les gens et visait à les mettre mal à l’aise. Mais l’odeur de Sora ne trompait personne, aucune créature surnaturelle. Il sentait les biscuits. Les biscuits que l’on mange au coin du feu, en regardant la neige tomber par la fenêtre. Ou une odeur qui rappelait les biscuits.
Il était humain.

« Tu es sûre, que tu n’en as aucune idée ? »
« Non. Pas la moindre idée. Tu veux jouer aux devinettes, c’est ça ? Elle a signé sa lettre, finalement ? »

Elle passa une main dans sa chevelure de lionne. Même si une lionne n’a pas de poils verts. Ce serait bizarre, sinon. Manquerait plus que les licornes soient roses. C’est vrai que ce serait pas mal…

« Non, je ne vois toujours pas de qui tu veux par- »

Ses yeux. Ses yeux d’un bleu océanique, presque satanique. Elle haïssait ses yeux. Mais bordel ! Qu’est-ce qu’elle pouvait les aimer ! C’était pourtant tellement contraste. Si elle le pouvait, elle se noierait dans cet océan de teintes bleues. Elle se laisserait couler jusqu’à l’oubli. Oui, elle le ferait. Une étincelle y brillait en permanence. L’étoile du pays imaginaire. Elle aurait tellement souhaité que ça puisse être ça.

Ses nerfs allaient lâcher. Elle n’en pouvait plus, ne supportait plus de garder ce secret qui n’en était même plus un pour elle toute seule. Ses joues brûlaient. Elles devaient certainement avoir pris feu. Hallelujah avait rougi. Deux fois dans la même journée. Elle tourna vivement la tête, plantant ses yeux dans ceux de son ami et abattant ses petits poings sur la table. Elle se moquait éperdument des têtes qui s’étaient tournées vers elle, elle ne souciait pas du tout de l’espoir naissant dans les cœurs des garçons et des filles, convaincus d’assister à la première dispute publique du couple Hallelujah/Sora. Ce n’était qu’une mise en scène.

« J’avoue ! J’avoue tout ! C’était bien de moi, cette lettre dans ton casier ! Je me suis éclipsée pendant que le prof t’enguirlandait ! »

Elle se laissa tomber mollement sur la table, face contre la surface plastique du meuble, poignets tendus en avant, comme dans les films ou séries policières, quand la personne allait avoir les menottes. Elle gémit, laissant échapper une longue plainte absolument simulée, et regarda Sora, une mine de chien battu planant sur le visage. Elle se moquait du fait qu’il puisse se rincer l’œil devant un décolleté qu’elle avait mis sans se douter des événements de la journée. Elle était Ange, certes. Mais ça ne faisait pas d’elle une gitane capable de lire l’avenir. Elle fronça son nez dans une moue qu’elle voulait absolument adorable. Mais en matière de choses mignonnes, c’était Akane la meilleure. Et le pire, c’est qu’elle ne le faisait absolument pas exprès. Hallelujah mordilla sa lèvre et se redressa, consciente qu’elle avait l’air parfaitement stupide. Elle s’en fichait pas mal de ce que pouvaient penser les spectateurs de sa mise en scène.

« Vas-y ! Moque-toi ! Ce n’est pas bien grave de toute manière. C’est juste une lettre ! »

Oh, bien sûr que c’était faux. Elle ne tenait pas du tout à ce que Sora se moque de ce qu’elle avait écrit. Halley gratta nerveusement ses peaux mortes autour de ses ongles. Qu’importe ce qui allait arriver.

« Enfin… »

Elle gratta plus fort, oubliant le sang.

« Non… C’était pas juste une lettre… »

Ah !

« Tu es sûre, que tu n’en as aucune idée ?
_ Non. Pas la moindre idée. Tu veux jouer aux devinettes, c’est ça ? Elle a signé sa lettre, finalement ? »

Sora ne cessa pas pour la fixer pour autant. Hallelujah était perturbée, il le voyait bien et on ne l’est pas quand on a la conscience tranquille. Pour une raison ou une autre sa question avait fait mouche et si ses suppositions sur le fait que ce soit elle et personne d’autre qui ait écrit cette lettre se révélaient fausses, et bien peut être au moins le mènerait-elle sur une nouvelle piste. C’était un garçon pragmatique ; si ce n’était Halle, c’était quelqu’un d’autre et si Halle s’agitait ainsi alors que ce n’était pas elle, et bien c’est qu’elle savait quelque chose de plus qu’elle ne voulait pas lui dire. Il était passé maitre en l’art de cuisiner les gens - nous ne parlons bien évidement pas de torture, seulement de tirage de vers du nez - et il comptait bien appliquer ses talents sur cette chère et tendre Hallelujah. Il adorait la jeune fille, mais il adorait encore plus l’embêter.

« Non, continua cette dernière, je ne vois toujours pas de qui tu veux par- »

Alors qu’elle tournait la tête en passant la main dans son abondante chevelure, un de ses yeux vert resta inéluctablement attaché aux siens. Tiens, venait-il de faire une prise ? Elle le fixa, la pupille tremblante, son saisissement si grand qu’elle en arrêta même de parler - c’est dire comme il était grand ! Ses iris miroitaient de verts différents en même temps que les émotions passaient en elle, floues et indistinctes mais belles et bien présentes. Sora connaissait ce signe particulier. Cette variation de couleur, comme si ses sentiments débordaient soudain, il savait ce qu’elle précédait. Elle précédait toujours la même chose.

Hallelujah rougit. Oui mesdames et messieurs, ce soir sous vos yeux ébahis, Hallelujah Asuna va nous interpréter un rougissement des plus superbes qu’il est inattendu ! Le jeune homme leva des sourcils surpris et, plus par automatisme que pour réellement le noter, souffla entre ses lèvres pâles :

« 6 à 3. »

Mais il n’eut pas le temps de savourer sa victoire que, déjà, Halle hurlait. D’un fabuleux mouvement de hanche rotatoire, elle se redressa tout en se tournant vers lui, plantant son regard dans le sien et ses poings dans la table. Elle avait une force terrible pour sa frêle carrure, le tintamarre ainsi provoqué faisant se retourner la moitié de la salle. Coucou, bonjour, non ce n’est pas un diner spectacle vous pouvez retourner à vos occupations précédentes, merci et bon repas ! Aucun effet, bien sûr. D’un autre côté, il aurait fallu prononcer cette phrase à haute voix plutôt que de la penser très fort, mais Sora savait bien que ça ne changerait rien. Après tout, la rupture du couple Sora-Hallelujah, ça se regarde.

« J’avoue ! J’avoue tout ! C’était bien de moi, cette lettre dans ton casier ! Je me suis éclipsée pendant que le prof t’enguirlandait ! »

Huuum, c’était donc ça ! Hochant la tête dans le vide, il comprit enfin comment elle avait bien pu le faire pour poster cette lettre sans qu’il la voie. Jusqu’ici il pensait qu’elle l’avait mise la veille, mais elle avait été tellement naturelle dans la matinée que c’en était incroyable ; elle avait écrit cette lettre pendant le cours de japonais. Pourquoi ? Pourquoi brusquement à ce moment là ? La réponse était évidente.

« C’est à cause de la chanson, c’est ça ? demanda-t-il d’une voix posée. »

Il ne s’avança pas plus loin. Parce qu’il ne savait pas. Il se savait pas ce que sa chanson avait déclenché chez elle. Un élan amoureux fougueux et intense ? Ou une simple envie de vengeance ? Seule la jeune fille pouvait le savoir.

Cette dernière, poussant des gémissements à fendre l’âme, était actuellement en train de se rouler sur la table comme un condamné de série B attendant la mort. La décolleté plongeant en plus. Il continua de la fixer sans rien dire tandis qu’elle enchainait les postures et les mimiques, toutes plus ridicules les unes que les autres. Essayait-elle de l’amadouer, là ? Parce que si oui, ça marchait pas du tout. Il avait plutôt envie d’exploser de rire. Et ça dû se voir car Halle fronça ses sourcils verts - eh oui, même eux elle avait pensé à les teindre ! - s’exprima de la voix la plus boudeuse qu’il lui ait jamais entendue :

« Vas-y ! Moque-toi ! Ce n’est pas bien grave de toute manière. C’est juste une lettre !

Sora ne résista pas et se mit à rire du nez avant d’étendre son long bras et lui ébouriffer la toison de sa main dorée.

_ T’es mignonne, se contenta-t-il de lâcher avec un sourire. »

Il n’avait aucune raison de se moquer de sa lettre. Pourquoi le ferait-il ? Il venait d’en faire l’éloge sous ses yeux, il n’allait pas revenir sur ses paroles maintenant son identité découverte ! Et puis, Sora Launay ne revient jamais sur sa parole, de toute façon. Il lui avait dit qu’elle était belle. Elle l’était toujours, qu’importe l’auteur. Mais la jeune fille continua pour autant de parler, cherchant les mots juste pour ce qu’elle voulait exprimer.

« Enfin… Non… C’était pas juste une lettre… »

Le jeune homme cessa de sourire. En face de lui, Hallelujah, sans doute sa meilleure amie, s’attaquait les peaux d’un air contrit. Que lui arrivait-il ? C’était la première fois qu’il la voyait comme ça. Habituellement elle fonçait dans le tas en hurlant haut et fort ce qu’elle avait à dire. Là, au contraire, elle se ratatinait en baissant la voix. Ça n’allait pas du tout.

« Alors dis moi ce que c’est, dit-il sur un ton qui se voulait encourageant.

Puis, après un temps de pause.

_ De toute façon, il va bien falloir que je te réponde, non ? »

Il prit une longue inspiration. C’était le pire moment de la lettre d’amour. Et même s’il savait que Halle n’était pas sincère… comment croire qu’elle n’était pas sincère ? Sa lettre l’était tellement. Il papillonna un instant entre les lettres manuscrites et les yeux verts en face de lui et finit par ouvrir la bouche pour énoncer sa sentence :

« Je…

… suis désolé mais ça ne va pas être possible entre nous, vois-tu, je ne suis pas amoureux de toi ; je te considère même comme ma meilleure amie.

_ … vais y réfléchir. »

Même lui n’en revenait pas d’avoir dit ça. Il n’avait jamais considéré Hallelujah autrement que comme sa compagne de jeu et de farce mais cette lettre venait de lui ouvrir de nouvelles perspectives. Et si, en définitive, elle était plus que cela ?

Et dans les cieux,
Des étoiles plein les yeux,
On t'appelle Belle Notte.

Son sourire laissa place à de l’incompréhension. Elle l’avait vu, ce changement de sentiment, alors que son pouce saignait. Elle le porta à ses lèvres, lécha le sang. Peu lui importer d’agir comme un vampire. Elle s’e foutait qu’il puisse se mettre cette idée dans la tête, la pourchasser pour l’anéantir. Ce qui lui importait, qui pesait sur son cœur comme une dizaine d’éléphants entassés les uns sur les autres, c’était l’effacement de son sourire.

« Alors dis-moi ce que c’est. »

Lui dire… Ce qu’était cette lettre ? Ce qu’elle représentait ? Hallelujah posa un coude sur la tête et appuya sa tête dans le creux de sa main, sans cesser de fixer Sora. Un geste dépourvu de féminité. Une vraie fille aurait attendu patiemment, les mains sagement posées sur une jupe d’uniforme nickel, les yeux sagement baissés – et déçue à l’idée de faire tapisserie ? – avec en prime des joues rouges si mignonnes. Si elle avait bien entendu, Sora avait dit qu’elle était mignonne. Oui, mignonne. C’est comme ça qu’on la qualifiait. Dire ce que cette lettre représentait. Ah ! Si elle le savait elle-même ! Elle soupira, les yeux toujours rivés sur son ami.

« Je n’en sais rien… »

En fait, elle n’y avait jamais vraiment réfléchi. Elle avait écrit tout ça sur une impulsion soudaine. Comme il l’avait si bien fait remarquer, c’était à cause de la chanson. Personne ne connaissait cette chanson. Personne ne la connaissait, elle en était certaine. Elle en aurait presque mis sa main à couper. Personne. Sauf lui. Lui, il la connaissait. Il allait même jusqu’à connaître les accords.

« De toute façon, il va bien falloir que je te réponde, non ? »

Lui répondre. Lui répondre. Lui répondre ? A quoi allait-il répondre ? Hallelujah ne comprenait pas. Pourquoi fallait-il qu’il lui réponde ? Pourquoi prenait-il cette lettre au sérieux… ?
Hallelujah aurait fait de même.

Sora inspira profondément. Ses yeux croisèrent les siens. Disparurent entre les liens d’encre bleue. Revinrent à elle. A croire qu’une lettre d’amour était un supplice. Hally n’en savait rien. Elle n’avait jamais eu à répondre à un courrier. Quand elle devait se décider, c’était en face de la personne. Ce qui ne rendait pas la situation plus difficile face à celle que vivait Sora. Halley remua la tête dans sa main, le regardant. Sa main remonta sur la table. Elle tapa de l’index sur la table. Comme si elle était impatiente.

« Je… »

… Sui désolée. Je n’aurai jamais dû t’écrire cette lettre, c’était stupide de ma part. Je te promets que si ça te fait peur, tu peux l’oublier. Ca ne me gêne pas. T’es un ami en or, Sora.

« … Vais y réfléchir. »

Un blocage. Un énorme blocage dans sa tête. Je vais y réfléchir. Vraiment ? Non… Sérieusement ? Halley ne s’attendait pas à ça. Que lui répondre ? Elle n’en savait rien. Elle repoussa une mèche. En un instant, elle baissa les yeux. Avant de les relever.

« T’es pas obligé. »

Comment lui dire que ce qu’elle ressentait ne se limitait qu’à une amitié ? Au fond, elle n’en savait rien. Elle n’y avait jamais vraiment réfléchi. Peut-être que ça pourrait aller plus loin. Elle n'en savait rien. Elle se mordit la lèvre.

« Si ça te dérange sérieusement. T’es pas obligé. »

Qu’est-ce qu’elle pouvait dire d’autre ? Il fallait qu’elle change de sujet. Qu’elle trouve un truc. La situation était gênante. Et il était hors de question qu’elle rougisse pour la troisième fois de la journée.

« Sinon… Tu trouves pas mes cheveux boucles moins qu’avant ? »

Un sourire naquit sur ses lèvres.
Hallelujah… Je suis sûre que tu peux faire mieux.

Il vit clairement à la tête que fit Hallelujah qu’elle était aussi surprise que lui part sa réponse. C’était absurde, comment pouvait-il être surpris par ce qu’il venait lui-même de prononcer ? À croire que le tempérament impétueux de son enfance avait repris le dessus, l’espace de quelques secondes. Il avait bien choisi son moment, celui là.

« T’es pas obligé. »

Halle avait l’air gêné. Ses mains tripotaient nerveusement ses cheveux, ses yeux faisant des allers-retours entre lui, le sol, la table et même le reste de la salle. Tout chez elle transpirait l’embarras. Elle ne savait plus où se mettre. Ce qui, à la base, n’était censé qu’être une simple farce prenait une tournure un peu trop sérieuse pour eux deux. C’était vrai, quoi, avaient-ils jamais été sérieux tout les deux ? Non, jamais. Ils avaient ri, dit des conneries plus grosses qu’eux, ils s’étaient encensés et insultés, dragués et fait rougir plus que de raison, ils avaient fait jaser toutes les langues et tourner en bourriques tout les cœurs un peu trop fragiles, mais jamais ils n’avaient été sérieux. Pas une seule fois. C’était donc normal que, l’un comme l’autre, ils soient un peu perdus.

« Si ça te dérange sérieusement. T’es pas obligé. »

Oui, il avait cru saisir. D’un autre côté, elle lui répétait « Tu n’es pas obligé » mais ce n’était pas la chose à dire si elle voulait qu’il arrête.

« Si tu ne veux pas que je te réponde, alors tu n’as qu’à me le dire. Dis moi que ce n’était qu’une blague, dit-il en plantant son regard dans le sien. Dis moi que tu ne pensais rien de ce qui était écrit dans cette lettre et j’arrêterai tout de suite d’y penser.

Il posa la lettre sur la table, entre eux deux, et la couvrit de sa main. Pour l’aplanir, la maintenir en place ou la protéger, qui sait. Cette lettre qui avait tout déclenché, alors qu’ils passaient une journée comme les autres. Cette lettre qui risquait d’être la fin de leur amitié et le début d’une nouvelle histoire.

_ Certes, je t’en voudrais d’avoir joué avec mon cœur de pur et innocent jeune homme, ajouta-t-il avec un fin sourire, mais je pense que je surmonterai cette offense sans grande peine. »

C’était une promesse et Sora tenait toujours ses promesses. Souriant, il se rassit droit dans sa chaise, laissant la feuille pliée dans l’espace entre leur deux plateaux. Et il attendit. Attendit que Halle dise ce qu’elle avait à dire.

« Sinon… Tu trouves pas mes cheveux bouclent moins qu’avant ?

Il la fixa une paire de seconde avant de se dérider, accueillant son changement de sujet par un rire nasal discret.

_ Non, je ne trouve pas. Tu as toujours ton air de lionne verte venue tout droit des steppes d’Afrique. Manque plus que le rugissement, et te voilà une vraie fauve.

Appuyant ses coudes sur la table et son menton sur ses mains croisée, il la contempla le temps de réunir ses pensées.

_ Par contre, tu as changé de shampoing, non ? Avant tu sentais la vanille, maintenant tu sens la pomme. »

Que voulez-vous, à force de passer ses journées assis derrière elle et la plupart des cours de math à jouer avec ses cheveux, Sora avait fini par connaitre par cœur l’odeur de la jeune fille. Il était sûr, et ce sans aucune vantardise, que s’il entrait dans une parfumerie il trouverait sans mal son parfum. Elle sentait l’air de la montagne au printemps, une odeur fraîche et légère. Si légère qu’il se demandait quel génie avait bien pu réussir à l’enfermer dans un flacon.

« Et moi, tu trouves pas que j’ai la mâchoire plus carrée ? enchaina-t-il. »

Si elle voulait changer de sujet, et bien soit, ils allaient changer de sujet.

I can win
I can run ♪

Lui dire tout ce qu’il réclamait aurait été impossible pour Hallelujah. Elle n’était même plus sûre du fait que cette lettre ait été, un jour, une blague. Tout cet enchaînement devenait trop lourd, trop bizarre. Et maintenant, elle était perdue. Et ça lui faisait mal d’être perdue de la sorte. Peur, même. Elle n’était même pas en mesure de lui dire qu’elle ne pensait pas un traître mot de ce qu’elle avait écrit, de ce qu’elle avait couché bleu sur blanc entre les lignes de sa feuille. Pour cause, elle n’était même plus en mesure de réfléchir d’elle-même. Tout ça était soudain, une apparition brutale, une mort subite. Elle avait l’impression de tomber en chute libre entre les murs de pierres d’un puits. Elle n’y comprenait rien. Mais une chose la rassurait : Sora était aussi largué qu’elle. Se réjouir du malheur des autres, c’est mal. Très mal. C’est méchant et tout ce que l’on veut. Un ange ne peut pas se permettre de rire de la souffrance d’autrui. Mais c’en était presque libérateur comme révélation. Lui qui avait, pour ainsi dire, l’habitude de sortir avec plein de filles toutes aussi belles les unes que les autres. Il était perdu. Pourtant, elle n’était pas si différente. Ou juste un peu, alors.

Elle regarda ses mains glisser la lettre vers le milieu de la table. Comme un mur. Un grand mure d’énergie cosmique. Pas aussi grand que la muraille de Chine mais tout aussi redoutable. C’était presque comme si elle avait des capacités électriques sur-puissantes. Pourtant, la main de Sora se posa dessus, signe ultime qu’elle n’avait rien à craindre en touchant la lettre. On aurait presque dit l’un des chiens dans le célèbre conte Le Briquet d’Andersen. Et le coffre protégé était la lettre. Cette foutue lettre. Elle ne chercha nullement à déplacer la main de Sora pour reprendre sa feuille. Il pouvait la garder. Elle était à lui et à lui seul – la lettre, hein. Destinée à personne d’autre que lui. Il n’empêchait rien au fait que cette lettre soit une véritable crasse. Qu’est-ce qu’elle avait fait, cette missive ? Plein de choses. Est-ce qu’une vie meilleure nous attend dès demain ? Sora arrivait encore à faire de l’humour. Ou peut-être n’en était-ce pas ? Elle n’en savait rien. Absolument que dalle. Il lui en voudrait d’avoir joué avec son âme de jeune homme pur et innocent. Et elle aussi, elle s’en voudrait pas mal d’avoir fait une chose aussi ignoble que ça. Le mieux était alors de ne rien dire. De ne pas dire que c’était une farce puérile. De ne pas dire qu’elle ne pensait pas ce qu’elle avait écrit. Oui. Ne rien dire restait la meilleure des solutions Même si elle était incapable de dire quoique ce soit. De toute manière, larguée comme elle l’était, ce n’est pas elle qui aurait mis fin à cette histoire.

Hallelujah repoussa une mèche verte de son visage. Elle lui sourit. Ca lui faisait du bien de l’entendre rire à nouveau. Comme une grosse pierre qui quitte sa poitrine.

« Non, je ne trouve pas. Tu as toujours ton air de lionne verte venue tout droit des steppes d’Afrique. Manque plus que le rugissement, et te voilà une vraie fauve. »

Une lionne. Une lionne des steppes africaines. Oui. Une lionne. Si bestial, si gracieux. Elle adorait les lions. Les rois des animaux.

« Graoooow. »
« Par contre, tu as changé de shampoing, non ? Avant tu sentais la vanille, maintenant tu sens la pomme. »

Hallelujah sourit et attrapa l’une des mèches vertes pour la sentir. Ca sentait tant que ça ? Enfin, vous allez me dire, à force de nager dans cette odeur toute la journée, elle ne sentait plus rien. L’odeur ne la gênait plus.

« Ouais. Je préfère les pommes. Les vertes. Ca me va mieux. »

Elle l’écouta parler de sa mâchoire carrée. Nettement plus à l’aise. Oui, elle était nettement plus à l’aise. Très à l’aise.

« C’est fou ce que vous, les humains, vous pouv- »

Faute de frappe. Lapsus lingua. Saloperie.
Faites qu’il ne remarque rien.

Elle rugit gentiment, ni trop fort ni pas assez, attirant quelques regards curieux des tables voisines. Sora sourit. Hallelujah n’avait rien dit. Elle n’avait pas démentit, pas juré que sa lettre n’était qu’un tissu de mensonges et de pièges pour le faire rougir, elle n’osa même pas protester quand il récupéra la feuille et la rangea soigneusement dans sa poche. Il casserait les dents du premier qui oserait ne serait-ce qu’envisager de s’en emparer. De toute façon, personne n’était assez fou pour avoir de telles idées. Seul Kazuki aurait pu glisser sa main dans sa poche sans risquer de recevoir un coup, mais il était assez désintéressé des histoires de son frère pour ne pas le faire. Donc il n’y avait rien à craindre, la lettre et les sentiments de son amie étaient en parfaite sécurité avec lui.

Sora continua à sourire, la regard renifler ses cheveux comme si elle allait sentir quelque chose. Ce n’était pas un parfum étouffant, que l’on respire à longueur de journée jusqu’à l’asphyxie. C’était une bouffée d’air, le matin, quand elle venait s’asseoir devant lui. C’était une odeur subtile quand elle tournait la tête en classe. C’était une fragrance tenue quand il traversait un couleur où elle était passée un peu plus tôt. Ça n’avait rien à voir avec ces eaux de toilettes odorantes qui vous collent à la peau toute la journée et vous emplissent le nez sans qu’on puisse rien faire contre. Le seul avantage de ces fioles là, c’est qu’elles devaient rendre malade les lycaons il aurait mis sa main à couper. Donc Halle, qui évoluait dans ses propres effluves à longueur de journée, elle ne devait pas sentir grand chose malgré sa mèche agitée sous son petit nez.

« Ouais. Je préfère les pommes. Les vertes. Ça me va mieux.

Nouveau rire nasal, un sourire qui lui plisse le coin des yeux.

_ Ça s’accorde bien avec la couleur de tes cheveux, c’est sûr. »

La jeune fille semblait plus détendue. Le gros de la tension était passée, la lette était rangée dans une poche lointaine et inaccessible, plus rien ne lui rappelait plus cette histoire de fausse déclaration et les problèmes qui en découlaient. Plus rien. Peut être est-ce pour cela, qu’elle fit une bourde aussi monstrueuse.

« C’est fou ce que vous, les humains, vous pouv- »

Sora arrêta de sourire et leva un regard, d’un bleu glacé, sur Hallelujah. Sûrement ne l’avait-elle jamais vu jusqu’ici, ce regard là. Sans doute parce que ce n’était pas le sien. Ce n’était pas le regard de Sora Launay, jeune homme ordinaire, c’était celui du Knight of Spade, tueur de monstres et assassin à ses propres yeux. « Vous, les humains ». À la vérité, il n’arrivait plus à penser. Il pensait trop et tellement de choses contradictoires qu’il avait fini par arrêter, comme euthanasié par ce trop plein d’activité. Le vide sidéral à l’intérieur de lui-même le laissa immobile, le regard fixé toujours sur le même point indéfini. « Vous, les humains ». Ça y est, une pensée venait de prendre le pas sur les autres. Il se leva dans un raclement de chaise.

Sans se retourner, sans voir quelle tête faisait Halle, il s’élança vers le couloir sans s’arrêter. Il se sentait comme mort, la nuque glacé et le cœur arrêté alors même que ses cicatrices le démangeaient et que le couteau contre sa cuisse le brûlait. « Pas elle ». Il n’avait rien pu penser d’autre. Rien d’autre que ce foutu « Pas elle ». À croire que l’humanité en danger ne lui importait pas, que le délégué de classe toujours si prompt à faire plaisir à la belle ne lui importait pas, que ses professeurs qui la côtoyaient au quotidien ne lui importaient pas. Rien n’avait d’importance, rien d’autre que ce foutu sentiment de trahison et de solitude qui lui broyaient les boyaux. En se levant ce matin, il avait pensé passer une journée idéale. Faire son show devant la classe réunie, faire rougir sa meilleure amie, gagner un nouveau point à leur jeu sans début ni fin, embêter un peu le délégué, beaucoup les profs, aller manger à la cafet’ sans arrière pensée ni soucis en tête. Une journée normale d’adolescent banal. Mais voilà, il avait fallu que la langue de Hallelujah fourche. Et avec son alibi, c’était une partie de la vie de Sora qu’elle venait de mettre en l’air.

S’engouffrant dans le couloir, il marcha droit devant lui, la main dans sa poche serrant la lettre à la froisser. Lui qui voulait en prendre soin, à quoi bon désormais ? Les sentiments d’une créature non-humaine, qu’est-ce qu’il en avait à faire ? Mais c’était Halle.
Cette scène lui en rappelait douloureusement une autre ; celle de la découverte de la race de Aki. Il l’avait appréciée elle aussi et elle aussi s’était révélée monstrueuse. Pourtant, il l’avait laissée en vie. Elle était inerte et sans défenses, mais il l’avait épargnée. Pourquoi ? Pour Rei, pour ne pas avoir une mort de plus sur la conscience. Et puis, il avait bien fait, non ? S’il se mettait à tuer tout les gens qu’il soupçonnait…

Un espoir incertain l’ébloui soudainement. Akane. Le jeune homme entra dans les toilettes, ceux-là même où il s’était rendu avant de chanter le matin, avec pour idée de se rafraichir à coup d’eau froide dans la figure. Il n’osait y croire. Peut être… peut être que… mais Hallelujah était si différente… Le bruit de la porte derrière lui mis fin à ses pensées en même temps que le contact de la main froide sur son bras. Avant que l’un des deux aient pu réaliser, Sora attrapa les poignets de la jeune fille et la plaqua rudement contre le mur de carrelage.

« Dis moi.

Les dents serrées, les sourcils froncés. Il aurait fait peur à n’importe qui, serrant dans ses points des poignets délicats de sa compagne.

_ Dis moi que tu n’es pas un Vampire ou un Lycan. Dis moi que tu es un Ange.

Non, ce n’était pas du désespoir qui brillait dans ses yeux.

_ … pitié. »

Spoiler:

My heart stops when you look at me
Faites qu’il ne remarque rien. Qu’il soit trop occupé à détailler un groupe de filles, qu’il ait oublié son existence pendant un court instant, que la phrase inachevée rentre par une oreille pour sortir de l’autre. Faites qu’il ne remarque rien. Elle était prête à tout. Prête à quitter la ville, prête à reprendre la couleur brune de ses cheveux d’origine, prête à disparaître à jamais, à adorer des Unités invisibles du ciel durant de siècles et des siècles, prête à abandonner ce qui la faisait sourire et nager dans l’océan d’un bonheur innocent. Faites qu’il ne remarque rien. Que le morceau de discussion soit coupé à ce moment et qu’il soit oublié, quelque part, dans un coin des limbes. Faites qu’il ne remarque rien. Ca voudrait mieux pour tout le monde. Pour lui. Pour elle, dans une autre mesure. Qu’il ne remarque rien.

Hallelujah retint son souffle, répétant mentalement la litanie en boucle et suppliant intérieurement le Passé pour que la phrase échappe à son compagnon, s’envole. Loin. Très loin. Et que jamais elle ne revienne. Jamais. Ses yeux changèrent. Ce n’était plus le regard sensuel du jeune homme à la guitare. Ce n’était plus le regard moqueur et arrogant face au délégué et aux professeurs. Ce n’était plus le regard qu’il tenait, il y a cinq minutes, quand ils ne comprenaient plus rien aux événements. Non. Elle ne connaissait pas ce regard et n’aurait jamais cru y voir tant de froid, de noirceur. Et Dieu seul sait qu’elle n’aurait jamais souhaité le voir. Des sueurs froides roulaient et rongeaient sa colonne vertébrale. Elle aurait tant voulu baisser les yeux pour s’arracher à l’étreinte glaciale de ce bleu. Chose qu’elle ne fit pas. Qu’elle n’osa pas faire. Certainement trop impressionnée par la situation, aussi perturbante soit-elle. Elle n’osa même pas repousser une mèche verte. Ses mains demeuraient immobiles sur la table. Vous, les humains. Non mais quelle conne ! La pression dûe à la lettre venait juste de mettre les voiles, ils avaient retrouvé le sourire et elle, Ange Stupide, elle avait tout fait foirer avec trois mots. Vous, les humains. Crétine. Quand elle tendit la main pour le toucher, il était trop tard. Le raclement de la chaise résonna longtemps dans ses oreilles.

Elle resta un temps indéfini assise, sous les regards curieux des autres élèves. Elle avait certainement l’air stupide, malheureuse. N’importe quel garçon aurait pu venir s’asseoir en face d’elle, lui parler. La draguer, même. Profiter de son manque de compréhension soudain. Qu’est-ce qu’elle avait l’air stupide, silencieuse dans un océan de bruits de couverts, de discussions. Seule, sur sa chaise. Il fallait qu’elle fasse quelque chose. Qu’elle le rattrape, qu’elle le touche, qu’elle lui arrache un sourire. Elle déglutit difficilement. Douloureusement. Elle n’entendait plus son cœur. Elle repoussa sa chaise et, dans une tornade de mèches vertes, s’élança dans le couloir où Sora avait disparu, quelques instants plus tôt.

Hallelujah bouscula les quelques personnes se trouvant son passage. Elle n’avait pas le temps de s’excuser. Elle devait retrouver Sora. Evidemment, elle ne savait pas où chercher. Il aurait pu être n’importe où. En classe, dans sa chambre, dehors, dans une salle. Partout. Il pouvait être partout. Sa main attrapa le bras de quelqu’un, sur le côté. Elle s’entendit sans s’entendre lui demander s’il n’avait pas vu Sora. Par-là. Elle suivit la trajectoire décrite par le doigt pointé du garçon. WC. Pour hommes. Elle inclina légèrement la tête et s’éloigna pour s’adosser au mur, à côté de la porte permettant d’accéder à cet antre masculin. Elle attendit, lissant les plis de sa jupe pour paraître occupée. Profitant d’un moment d’inattention, elle se glissa dans la pièce. Depuis le temps qu’elle attendait, elle se doutait bien qu’il n’y avait personne d’autre que lui. Elle s’avança, ferma soigneusement la porte derrière elle et posa sa main sur son bras, hésitante. Main qui vola, prise d’assaut par le bras.

Son corps percuta le mur, lui coupant la respiration. L’étau formé par les mains de Sora se resserra autour de ses poignets. Hallelujah l’observa sans rien dire. Elle n’avait rien à dire, trop occupée à détailler ce visage qu’elle ne parvenait pas à reconnaître.

« Dis-moi. »

Halley ouvrit la bouche mais aucun son ne franchit le seuil de ses lèvres. Elle sentait son cœur remonter dans sa gorge. Ses mains, ses doigts commençaient à fourmiller, faute de sang. C’était une sensation particulière, infâme, même. Mais elle n’arrivait pas à se dégager.

« Sora… Tu me fais mal. »
« Dis-moi que tu n’es pas un Vampire ou un Lycan. Dis-moi que tu es un Ange. »

Hallelujah ne put s’empêcher de froncer les sourcils. Alors comme ça, il connaissait l’existence des Anges. Les autres races, elle s’en doutait un peu, à cause des cicatrices entrevues, parfois. Mais les Anges ne laissent pas de trace. Les Anges ne font pas mal.

« Tu te rends compte que n’importe qui pourrait entrer et nous voir ? »
« … pitié. »

Hallelujah l’observa. Elle aurait voulu le prendre dans ses bras. Pour ne plus voir ce qu’elle voyait. Rien que pour le serrer contre elle, s’agripper à lui, ne pas le lâcher. Elle remua un moment, mal à l’aise contre le mur. Elle ne parviendrait pas à s’arracher de ses mains. Pourtant, elle ne pouvait rien dire, collée contre la structure du bâtiment, guettant l’arrivée d’un élève quelconque. Elle bougea encore. Elle aurait pu utiliser le bouclier allant avec la panoplie de l’ange parfait. Mais non. Elle avait peur de lui faire mal. Elle baissa les yeux. Au bout d’un moment, les mains de Sora quittèrent ses poignets.

Elle le regarda un moment. Hallelujah hésita un moment, adossée au mur blanc des toilettes. Elle finit par tendre sa main vers lui, toucha son bras et s’attendit à être repoussée. Il devait la voir comme un monstre. Et ça faisait mal. Au final, elle le poussa en douceur vers la cabine la plus proche et en ferma la porte derrière elle. Elle s’y appuya et soupira. C’était fou comme ce n’est que dans ce genre de situation que l’on se rend compte qu’une cabine, c’est petit. Au moins, il ne l’avait pas frappée. Elle le regarda, plantant son regard dans le sien. Le vert qui affronte le bleu. Son ongle se remit à gratter son pouce, faisant perler par la même occasion des minuscules gouttes de sang.

« Bien sûr que j’en suis un. Un ange, je veux dire. »

« Sora… Tu me fais mal. »

Il s’en foutait.

« Tu te rends compte que n’importe qui pourrait entrer et nous voir ? »

Il s’en foutait.
Qu’il entre, ce « n’importe qui ». Peut être qu’il pourrait se défouler sur lui comme il ne pouvait le faire sur Hallelujah. Parce qu’il ne le connaissait pas ce « n’importe qui » alors qu’Est-ce que ça lui ferait de le frapper, hein ? De le frapper pour qu’il sorte de ces foutues toilettes, qu’il dégage de ce lieu privé, qu’il les laisse en paix. Halle, elle, il ne pouvait pas la toucher. Lui serrer les poignets lui faisait mal, comme si c’était ses propres bras qu’il compressait de la sorte. Il avait mal à l’idée de l’avoir plaquée contre le mur, mal à l’idée de lui crier dessus. Mais il avait encore plus mal en l’imaginant planter ses crocs dans le cou de quelqu’un, il avait encore plus mal quand il la visualisait en train de manger un innocent à pleine lune.

D’un autre côté, c’étaient des inconnus non ? Donc, qu’est-ce qu’il en avait à faire que leur vie s’achève là ? Mais non, ce n’étaient pas des inconnus. C’était lui, dans une ruelle noire, tout juste âgé de 14 ans quand son premier lycan lui était tombé dessus. C’était Reimei, un soir en attendant son grand père, quand il ne savait quel salopard l’avait attirée dans un magasin vide et avait plongé ses canines dans sa gorge blanche. La question était désormais : l’aimait-il plus qu’il n’aimait toutes ses possibles victimes ?

Hallelujah remua. Une fois. Deux fois. Pourquoi n’utilisait-elle pas sa force surhumaine pour se dégager ? Il ne pourrait rien faire, il était faible, il était humain. Sora la lâcha, laissant ses bras retomber sans force le long de ses flancs. À quoi bon. Elle avait les yeux baissés sur le sol, il en fit de même. Il ne savait plus quoi faire, quoi penser. Ces derniers temps, son monde était en train d’être chamboulé. Rei, son maître, Aki, Akane et maintenant elle. Ils en avaient pas marre de mettre sa vie en l’air ?

La main d’Halle se posa timidement sur son bras. Le garçon redressa la tête et lui jeta un regard morne, éteint. Quoi, qu’est-ce qu’elle voulait ? C’était trop pour lui, même Dieu s’était reposé le septième jour. Doucement mais sûrement, elle le poussa et il fit un pas en arrière. Puis deux, puis trois. Les parois de la cabine s’imposèrent à ses yeux et la jeune fille ferma la porte derrière eux. Il faisait sombre entre ces quatre murs et il ne voyait plus grand-chose. Dans d’autres circonstances, il aurait sourit. Un garçon et une fille enfermés dans des toilettes ? Il n’y a rien de plus cocasse comme situation. Il se serait avancé vers elle, il lui aurait susurré des mots interdits d’une voix grave, peut être même les aurait-il dits en anglais pour mettre en avant son côté sensuel. Mais pas là. Il n’avait pas envie de jouer, de flirter. Hallelujah n’était même plus une fille à ses yeux. En fait, il se demandait même ce qu’elle était.

Soudain, elle planta ses yeux verts dans les siens si mornes. Elle s’était décidée ? Elle allait lui donner le coup de grâce ? Il n’avait même plus la force d’être en colère. Il l’aimait trop, il ne pourrait jamais lever la main sur elle.

« Bien sûr que j’en suis un.

Sora ferma les yeux, un sourd gémissement s’échappant ses lèvres closes. Voilà, elle avait frappé et frappé juste. Elle en était une. C’était dit. Rien de pire ne pouvait lui arriver désormais.

_ Un ange, je veux dire. »

Il redressa brusquement la tête, le regard plongé dans le sien. Un Ange ? Un Ange ? Un Ange ! Son corps entier tremblait. Sora Launay en train de trembler, mythique, certains paieraient pour voir ça. Mais oui, il était bel et bien en train de trembler. De soulagement. Ses genoux s’entrechoquaient pitoyablement, ses yeux s’embuaient progressivement mais, God !, qu’est-ce qu’il était heureux !

N’y tenant plus, il se laissa tomber sur la cuvette des W.C. et se prit la tête entre les mains, les épaules encore secouées de soubresauts. Des larmes ? Des rires ? Qui sait. Ah, finalement sa voix commence à s’élever dans la cabine. Un rire, pour l’instant tenu, puis de plus en plus fort s’échappe de sa gorge pour résonner entre les parois de bois. Un Ange ! Un rire fort - sûrement trop - et libérateur, des larmes de joie lui faisant briller les yeux.

« Un Ange…! »

Il ne trouve rien d’autre à dire, il n’arrive plus à parler. Il rigole trop, l’air lui manque. Il faut qu’il se calme, qu’il reprenne les pieds sur Terre. Sinon, toute l’école va finir par l’entendre et le journal du lycée sera là en 5 minutes pour prendre des photos choc que Hallelujah Asuna et Sora Launay, ensemble dans les toilettes des hommes. Cette idée le calme un peu, doucement, jusqu’à ce qu’il se retrouve à haleter pour retrouver son souffle.

« Mais… tu es si peu… angélique ! »

C’était vrai. Hallelujah la belle, la provocatrice. Pas Hallelujah la douce et la prude. D’un certain côté, la luxure du vampire lui allait bien, mais le blanc nacré de l’ange tout aussi. En la regardant, il l’imaginait sans mal avec des ailes dans le dos. Ému, ne sachant quoi dire, Sora la regarda juste. Elle était belle, son amie. Et elle n’était pas monstrueuse. Elle était divine. Lentement, il tendit la main et lui attrapa le poignet. Doucement cette fois. Il regrettait encore ce qu’il lui avait fait subir.

« Une ange… »

Il tira et l’attira vers lui, enfouissant son visage dans la chaleur de son ventre et entourant ses jambes de ses bras. Là, il se remit à trembler. À la vérité. Il avait eu très peur. Si peur…

Redis 'provoquer'. Ca rend tes lèvres tellement...
Provocantes.

Elle l’avait dit. Elle qui n’avait jamais eu le courage de le dire à quiconque, sauf à d’autres anges, elle l’avait dit. A un humain. A Sora. Hallelujah chancela mais se rattrapa et reprit l’équilibre. Elle regardait Sora sans chercher à échapper à ses yeux. Ses yeux qui, quelques instants avant, elle tentait d’éviter le mieux possible. Et là, l’impossible. Il se mit à trembler. D’abord de manière imperceptible, puis de plus en plus fort. D’aussi loin qu’elle se souvienne, elle ne l’avait jamais vu trembler. Même quand il faisait froid, dehors, il ne tremblait pas. Et sous une révélation, il tremblait. Elle recula d’un pas, comme si le simple fait de sa présence aidait les spasmes dans le corps de Sora. Elle allait pleurer, s’il continuait ainsi. Elle ne se rapprocha pas même si cette envie de le prendre dans ses bras persistait. Halley l’observa s’asseoir sur la planche. Elle se mordit la lèvre, assommée par le spectacle d’un Sora démoli, tremblant dans les toilettes des garçons. Oui, elle lui avait fait mal, elle en était sûre, complètement persuadée. Elle n’était qu’un monstre. Comment avait-elle pu lui dire ça ? Il était si fragile, si… Humain.

Sora se mit à rire. Comme les vagues qui lèchent le sable de la plage. Un rire loin mais qui avance, avance et en vient à s’échouer sur le sable comme les coquillages. Elle ne savait pas comment interpréter ce rire. Se moquait-il d’elle, de ce qu’elle avait dit ? Non, bien sur que non. Il n’avait pas rigolé de la lettre, il n’aurait pas rigolé des Anges. Pourquoi rigolait-il, alors ? Ne la croyait-il pas capable d’être autre chose qu’une humaine ? Elle pouvait être tellement plus, pourtant. Trouvait-il cette idée absurde ? Elle pensait qu’il n’aurait jamais fait une chose pareille. Il ne se moquait pas des races. Elles étaient bien trop importantes pour lui. Si ça n’avait pas été le cas, il n’aurait jamais réagi de la sorte en la plaquant contre le mur de façon si brutale et sauvage. Tout ça rien qu’à cause d’une connerie, d’un foutu lapsus, fourchement de langue.

Elle entrevit les larmes dans ses yeux au milieu des rires. Non… ? Il n’allait pas pleurer, pas vrai ? C’était Sora Launay, le dur, le charismatique, le mystérieux, le tombeur de ces dames. Les larmes ne lui collaient, ne collaient pas à ce que les gens s’imaginaient. Mais ça restait un homme, un être humain. Une petite créature fragile. Elle refusait de croire que Sora était fragile. Elle l’avait toujours vu fort, souriant, agressif quand on leur cherchait des noises. Dire de lui qu’il était fragile, ça reviendrait au fait de dire d’un lièvre qu’il est lent.

Entre deux éclats de rire, Hallelujah aperçut un son, reconnut un mot. La dénomination de sa race. Elle n’osa même pas sourire. Elle avait trop peur d’une quelconque réaction future, du couteau dans sa poche, de ses mains. Est-ce que les Anges non plus, ils ne les aiment pas ? Non, bien sûr que non. Il n’avait aucune raison de les haïr, ils avaient toujours été gentils et inoffensifs. Ils ne tuaient personne. De vraies perles. Elle recommença à triturer ses doigts, étalant sans le vouloir le sang qui perlait aux coins de ses ongles. Ce n’était pas grave. Ca l’empêchait de craquer.

« Mais… tu es si peu… Angélique ! »

Lui aussi, il trouvait qu’elle ne faisait pas assez ange ? D’une certaine manière, c’était parfait. Elle se fondait parfaitement au travers des races et de la masse. Les humains n’avaient alors aucune raison de penser qu’elle ne faisait pas partie des leurs. Dit comme ça, ça faisait louche. D’un autre côté, ça l’ennuyait un peu, parce qu’en dénonçant son appartenance au groupe angélique, elle n’était pas crédible. Une ange. Oui, une ange. Perdue dans sa masse de pensées, elle sursauta quand la main de Sora se referma sur son poignet. Encore une fois. Son cœur se souleva dans sa poitrine. Hallelujah tressaillit légèrement et sentit un frisson glacé léché son échine. Elle le regarda, presque pitoyablement. Allait-il encore lui faire mal ? Il tira, elle se laissa emporter vers lui. Sa tête blonde percuta son ventre, se blottit contre lui. Elle avait encore envie de rougir. Mais elle ne rougirait pas. Pas trois fois sur une journée. Elle le sentit trembler contre son ventre. Elle passa une main sur sa joue, lentement. Parce qu’elle avait peur. Qu’elle avait eu peur. Elle glissa son autre main dans son dos.

La larme glissa sur sa joue sans qu’elle ne sache l’arrêter. Ce n’était que la première, celle qui avait été la plus facile à retenir. Les autres furent plus difficiles. La preuve en est, elle ne les retint pas. Elle les voyait s’écraser lourdement dans les cheveux de Sora. En vérité, elle ne voyait plus grand-chose.

« Je suis désolée… »

Désolée pour tout. Tout ce qu’elle ne lui avait pas dit.

Elle tressaillit. L’avait-il surprise ? Blessée ? Il espérait que non. Si c’était le cas, ne n’était pas volontaire. Sora n’était pas quelqu’un de méchant, blesser les gens ne lui procurait aucun plaisir, bien au contraire. Tout ce qu’il avait fait jusque là, c’était pour les autres. Jamais pour lui. On ne pouvait pas vraiment le traiter d’égoïste, loin de là même. Sauf peut être pour ses relations amoureuses. Sur ce point là il était vrai qu’il ne pensait qu’à lui, qu’à ses sentiments et pas ceux de la fille. D’ailleurs, c’était sans doute pour ça que toutes les personnes du pensionnat le voyaient de cette façon. Comme un tombeur, ténébreux et hautain, voire même cruel pour certains. Une drôle d’image de lui. Qui dénotait tout à fait avec sa véritable personnalité. Après tout, qui étaient-ils pour le juger sur le peu qu’ils voyaient de lui ? Sur son comportement en classe et dans les couloirs ? Que savaient-ils de ce qu’il se passait une fois qu’il avait refermé la porte de sa chambre derrière lui, dans il allait voir Kazuki dans la sienne, quand il croisait Reimei dans un couloir, quand il traînait tard le soir dans les jardins et les sous-sols… rien. Rien. Ils ne savaient rien.

Hallelujah tressaillit mais se laissa faire quand il la tira vers lui. Elle ne broncha pas plus quand il enfouit le visage dans son ventre, ni même quand il passa ses bras autour d’elle. Il était environné par son odeur et ne demandait rien de mieux que de rester là cent ans. Il était fatigué, il avait envie de dormir. Trop d’émotions, une journée trop chargée à la suite d’une semaine pleine de trop de révélations. Et s’il séchait cet après midi ? Il irait s’étendre dans un coin tranquille, peut être sur un banc dans le jardin des roses ou un truc comme ça. Enfin, il devrait quand même retourner en classe avant. Pas pour ses affaires, il s’en fichait, mais pour sa guitare. Après, qui savait ce qu’allaient en faire les professeurs qu’ils remarquaient son absence ?

Une main glissa sur sa joue, fraiche contre sa peau tiède. Les doigts glissèrent jusque sous son oreille, effleurant la peau sensible de son cou. Un frisson lui fit dresser les cheveux sur la nuque. Le garçon craignait le froid. Enfin, c’est ce qu’il se plu à se dire pour éviter toute autre interprétation à ce brusque sentiment. La deuxième main glissa dans son dos, il en sentait la température à travers sa fine chemise. Quelle idée aussi de mettre ce genre de vêtement. Un bon t-shirt, épais, ça l’aurait tué ? Mais non, il voulait être beau, sexy. Il voulait qu’elle le regarde comme s’ils étaient seuls au monde et que le reste de la classe, agglutiné autour d’eux, n’était qu’une chose insignifiante. Comme s’ils étaient les étoiles et eux la lune et le soleil, comme s’ils étaient le centre de l’Univers et le reste que poussière. Comme des enfants-dieux, éternellement jeunes et cons et que l’avenir n’appartenait qu’à eux.

La première larme s’écrasa dans sa chevelure dorée. Sora se redressa imperceptiblement. Mais non, l’avenir ne leur appartenait pas. Ils ne se connaissaient même pas. Sora chassait des monstres la nuit venue, avait le corps couturé de cicatrices plus ignobles les unes que les autres et portait sur ses épaules la responsabilité de la transformation de sa sœur en vampire. Hallelujah était une ange, pure comme le ciel d’hiver, incapable de mauvaises actions sous peine de souffrances, destinée à protéger une seule personne au péril de sa vie s’il le fallait. D’ailleurs, qui était-ce ? Il faudrait qu’il lui demande un jour. Et si elle connaissait Akane, aussi. Après tout, entre gens de la même espèce ils devaient bien se connaitre…

La deuxième larme vint rejoindre la première, suivit par toutes ses amies, et la main se crispa dans son dos. Il poserait la question, mais pas maintenant. Le jeune homme resserra son étreinte autour de son amie. Les sourcils froncés, il inspira longuement, pris dans le tissu de ses vêtements. Il ne pouvait pas pleurer, il ne le devait pas même. Car sinon, qui la réconforterait ?

« Je suis désolée… »

Pour la peine, il se redressa et la regarda dans les yeux. De quoi pouvait-elle bien vouloir se faire pardonner ? De ne pas lui avoir dit ou juste de l’être ? Sûrement un peu des deux et il ne pouvait même pas la sermonner pour ça.

« Oui, moi aussi je suis désolé.

Pour tout. Désolé, pour tout. Pour n’être qu’un humain, pour être faible, pour avoir détesté les créatures, pour les avoir tuées, pour ne plus pouvoir te traiter de la même manière mais d’essayer quand même, pour ne t’avoir jamais dit mon secret moi non-plus, pour ne t’avoir jamais tous ces secrets que j’ai en pagaille et qui me pèsent plus lourd chaque jour. Désolé.

_ Pour ça aussi, je suis désolé.

Il lui saisit doucement la main et amena son poignet à son visage, y posant le baiser le plus léger qu’il ait jamais posé. Puis il leva les yeux vers elle, tentant de se faire pardonner.

_ Ça va mieux, tu n’as plus mal ? »

Quand il lâcha sa main elle la ramena à elle et il se leva, un peu gêné par ce débordement d’émotion inhabituel. L’exigüité de la cabine ne l’aidait pas non plus et il tenta de se tenir debout sans être sur le trône ou trop contre elle, chose difficile dans ce genre de situation. Il passa un main dans ses cheveux humides de larmes.

« Et désolé aussi d’avoir réagi… si brusquement. J’ai pas eu une semaine facile. »

Il voulait se faire pardonner. Il le voulait.

Vous parlerez d'amour quand il aura mangé

Hallelujah s’excusait parce qu’elle n’était rien de plus qu’une petite créature fragile, inoffensive, incapable de faire ce à quoi elle avait été assignée sans trébucher et sans tâtonner. Elle s’excusait parce qu’elle n’était rien, qu’elle n’avait pas capable de s’imposer, d’imposer son idée et sa présence et dans la tête de son protégé, jouant les machos en refusant son aide et sa protection. Pourtant, elle, elle ne lui avait rien demandé. Elle s’en moquait un peu, de savoir si ça lui plaisait ou pas. Elle ne s’était même introduite de manière incurable dans sa vie privée et elle n’avait pas insisté pour qu’il change son mode de vie. Elle lui avait juste annoncé que son boulot, à elle, c’était de le protéger. Et rien d’autres. Elle s’excusait parce qu’elle n’avait jamais eu assez de tripes pour avouer toutes ces choses à Sora et que maintenant qu’elle l’avait fait, qu’elle avait tout envoyé sur le tapis, elle pleurait comme une madeleine, comme une conne, devant lui. D’un certain côté, elle aurait voulu qu’il pleure, lui aussi. Elle se serait senti moins seule, moins faible. D’un autre côté, savoir qu’il ne pleurait pas, qu’il ne cédait pas aux émotions, c’était libérateur. Elle n’aurait jamais supporté de le voir en larmes. Elle s’excusait de choses et d’autres. Elle voulait se faire pardonner son attitude, sa manière de sourire, celle d’aguicher ainsi que cette manie de faire souffrir en souffrant soi-même.

Et lui ? Pourquoi s’excusait-il ? Il n’avait aucune raison visible de le faire. Oh, oui, bien sûr. Il lui avait fait mal. Il lui avait fait peur. Mais elle l’avait cherché aussi. Si elle n’avait rien dit, si sa langue n’avait pas fourché, ils n’en seraient pas là, à ce foutu stade émotif qui faisait qu’elle pleure stupidement. Donc, c’était de sa faute. Tout était de sa faute à elle. D’abord, elle avait écrit la lettre mais s’était fait capté malgré ses tentatives de négation concernant son anonymat. En fait, tout avait commencé à partir de là. Suite au débat bizarrement gênant qu’ils avaient eu, elle avait tenté une diversion. Oui, c’était de sa faute. Ses larmes roulèrent à nouveau sur ses joues humides. Hallelujah pensait à out ce mal qu’elle avait fait aujourd’hui. A tout ce mal qu’elle avait fait à Sora. Et ça la rendait malade. Cala rendait haïssable. Mais qu’est-ce qu’Ils attendaient pour la faire déchoir, bon dieu ?! Elle ne méritait que ça, après tout. Halley se maudissait intérieurement. Elle l’entendit s’excuser une nouvelle fois. Elle secoua la tête, prête à protester.

Elle sentit à peine ses lèvres sur sa peau. Comme si elles n’avaient pas existé pendant qu’il embrassait sous poignet. Elle frôla la rougeur. Si elle avait été une groupie, elle se serait sans doute évanouie avant de détaler comme une lapine pour raconter ce baiser à tout le monde. Mais elle s’était bêtement contentée de le regarder, alors qu’à l’entrée de ses lèvres, les mots étaient prêts à fuser sur l’innocence de son ami.

« Ca va mieux, tu n’as plus mal ? »

Non, bien sûr que non. A ce stade, la douleur interne avait pris le dessus sur la douleur externe. La douleur est mentale. Elle ne sentait plus que de légers fourmillements aux endroits ayant été compressés par les mains de Sora. Littéralement broyés. Tout n’était plus qu’un souvenir. Elle replia son poignet contre sa poitrine et l’entoura de sa main. Comme si le baiser de Sora était un baume et sa main un pansement. Si seulement la médecine pouvait ressembler à ça.

« Non, ça va. Ne t’inquiète pas. »

Hally disait ça mais si ça avait été elle qui avait attrapé quelqu’un de la sorte, elle se serait aussi inquiétée. Elle recula, histoire de lui laisser un peu de place pour qu’il tienne debout sans tomber. C’est fou ce que les cabines étaient petites. Hallelujah se demandait s’il fallait proposer l’idée d’en construire des plus grandes au délégué. Elle se colla contre la porte. Si elle souriait, il lui dirait peut-être oui, son ami monté sur ressort. Si elle enroulait langoureusement une mèche autour de son doigt, il les construirait lui-même, ces toilettes. Elle pourrait essayer. Et puis, il y avait Shane. Si elle concluait un marché avec lui, il lui dirait peut-être oui, aussi. Hally suivit des yeux le mouvement de sa main parmi ses mèches humides. Trempées de ses larmes. Elle voulut encore s’excuser. Mais trop d’excuse tuait les excuses.

« Et désolé d’avoir réagi… Si brusquement. J’ai pas eu une semaine facile. »

Elle haussa un sourcil en apprenant la difficulté de sa semaine. Même si ce n’était que la surface. Parce qu’à l’intérieur, elle ne savait rien. Elle aurait pu s’imaginer toutes sortes de scénarii possibles. Une rupture mal digérée. Un problème avec son frère – ou sa sœur. Un coup de mou. Et autres explications plausibles.

Hallelujah attrapa une mèche verte et se mit à la triturer entre ses doigts. Elle la repoussa rapidement derrière son épaule et tendit une main pour prendre celle de Sora. Elle la serra entre ses paumes, comme pour lui transmettre toute sa compassion.

« Tu veux m’en parler ? »

Parce que, mine de rien, elle était assez inquiète pour lui.
Parce que, même sans le vouloir, il savait qu’elle serait muette comme une pierre tombale.

Et de plus en plus, Hallelujah se rendait douloureusement compte qu’elle ne savait rien de lui.

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